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Précarité et handicap : la double peine

Quand on cumule précarité et handicap, on est doublement exclu : de la considération de la société, des proches, des soins, du travail… Extraits d’un texte rédigé par des militants ATD Quart Monde (1) en 2012 avec la Mission Régionale d’Information sur l’Exclusion en Rhône-Alpes (MRIE) (2).

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« La pauvreté, c’est déjà un handicap », dit l’un d’entre nous. La pauvreté amène tout son lot de difficultés : dépression, souffrance morale, maladies… C’est comme un cercle vicieux dans lequel les personnes tournent en rond. Avec le temps, le manque d’argent a des conséquences sur la santé morale et physique, les problèmes de santé s’accumulent et empêchent de travailler, puis l’inactivité fait décroître les revenus. L’un d’entre nous l’exprime ainsi : « Si la maladie n’était pas là, je travaillerais. »

Pour résister à cette chute, cela demande beaucoup de force, il faut de la confiance envers soi-même, envers les autres, mais cette confiance s’amenuise petit à petit. Alors, lorsque handicap et pauvreté se cumulent, il faut s’adapter, chercher des solutions, mettre en place des stratégies pour vivre ou parfois juste survivre.

Nous devons souvent faire face à des privations, renoncer à des achats. La nourriture est un des premiers budgets qui est réduit. Certains d’entres nous peuvent ne manger qu’une fois par jour, voire pas du tout : « Il y a des jours où je ne mange pas, car je n’ai pas assez d’argent. »

Chacun de nous a un désir profond de travailler, que ce soit dans un milieu professionnel normal ou en établissement adapté.

Ce désir de travailler s’enracine dans le besoin d’épanouissement et la recherche d’une utilité sociale : « Le travail, c’est un endroit, une reconnaissance de l’autre, c’est important pour l’équilibre personnel. » Nous refusons d’être assistés ou considérés comme inaptes, donc inutiles. Mais, dans les faits, notre souhait se heurte à des obstacles bien réels.

Lorsque la maladie devient trop forte, elle nous oblige à nous arrêter souvent. Par la suite, les arrêts temporaires se transforment en longue maladie pour devenir un jour une invalidité imposée. Du jour au lendemain, on vous dit : « Vous ne reprenez pas votre travail. » Pour ceux d’entre nous qui ont été valides avant, qui ont travaillé, c’est encore plus difficile. On est confronté brutalement à un sentiment d’inutilité. Ce changement peut être très violent : l’image que vous aviez de vous-même s’effondre.

Nous savons que le monde du travail est un monde dur et il n’est pas toujours facile de trouver sa place. « Je rentrais chez moi le soir, j’en avais marre. J’ai fait de la dépression, donc j’ai été voir mon docteur, il m’a mis en maladie. Au final, j’ai préféré partir, je ne pouvais pas travailler dans ces conditions. »
Pour que le retour à l’emploi réussisse, il faut que les conditions soient réunies. Ensuite, il faut un travail souple, qui permette de gérer à la fois le quotidien et le handicap. La confiance et le soutien de personnes au sein de l’environnement du travail sont utiles. L’accompagnement dans l’emploi est essentiel et il ne suffit pas d’aménager le poste. L’un de nous témoigne : « J’ai été aidé avec un psy à reprendre le travail. Je travaillais aussi avec M., qui était à ATD Quart Monde. J’ai beaucoup été aidé. Et quand je n’ai plus pu rentrer dans le poste, le directeur a tout fait pour me créer un autre poste. »
Accepter notre handicap est encore plus difficile lorsqu’on essaie de nous rendre responsables, voire coupables de notre situation. Nous serions responsables aussi de notre position d’assistés : « On nous prend pour des fainéants, pour des profiteurs de la sécurité sociale. On ne dit pas : « Il ou elle est en invalidité », mais : « Il ou elle s’est mis(e) en invalidité. » » « Tant qu’il y aura cette image que l’handicapé est nourri par la société, on n’aura pas le droit au bonheur. On doit faire profil bas. » Pourtant, quand on est handicapé, on n’a pas choisi, on subit notre misère.

Dans les faits, accéder à ses droits est souvent compliqué. « J’ai dû me battre 10 ans pour que l’État accepte de me donner le statut d’invalide. » Lorsque finalement elle arrive, la reconnaissance de ses droits constitue parfois un aveu d’impuissance de notre organisation sociale : « La société ne sait pas comment faire travailler les handicapés, alors on préfère encore leur donner une AAH3 ou l’invalidité, comme ça on se débarrasse d’eux. » Ils ne figurent plus sur les listes du chômage et les services sociaux n’ont plus à les aider à avoir un emploi. Leur situation est réglée : « L’administration ne me contacte plus. Je suis sur une étagère, je prends la poussière. »

Au-delà du combat personnel sur notre propre regard, il y a le combat quotidien contre le regard des autres.

Ce regard est d’autant plus dur lorsque la maladie est d’ordre psychiatrique. L’une de nous confie : « Ce qui me gêne beaucoup, c’est que ce soit une invalidité psychiatrique. Les gens ont peur de l’inconnu. »

Certains d’entre nous essaient de se faire entendre auprès des proches et des amis. Pouvoir parler de ses problèmes, ça peut faire du bien, à condition qu’on soit écouté sans être jugé.

Une autre façon de trouver un peu de reconnaissance, très importante, est de s’engager dans des associations pour donner du sens à nos journées et rencontrer d’autres personnes. « Comment se fait-il qu’il y ait autant d’handicapés dans les associations ? Parce que le seul lieu où ils peuvent parler, où ils sont reconnus comme des individus, c’est dans les associations. »

Témoignages

Jeudi 30 mai 2013, une Université populaire Quart Monde se tenait à Rennes sur le thème « Porteurs de handicaps, nous sommes tous des personnes ».
– « Mon fils souffre d’un handicap. Il travaille et touche un salaire moins élevé que l’Allocation d’adulte handicapé car il veut être utile. »
– « Et si, à la télé, au lieu de publicités sur les voitures et les yaourts, on passait des publicités sur « apprenons à vivre ensemble » ? »
– « Mon fils a subi 49 opérations et il est aide soignant. Il a toujours voulu travailler. »