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Haïti : la soif de dire par l’écriture

Six mois après le séisme, alors que la plupart des caméras et micros des médias internationaux avaient quitté l’île, des membres d’ATD Quart Monde en Haïti ont voulu à leur tour donner aussi bien leur récit du 12 janvier que celui de leur combat quotidien, avant et après le séisme.

Celui qui les a accompagnés dans ce travail : Jean-Michel Defromont, volontaire permanent d’ATD Quart Monde depuis une trentaine d’années et écrivain. Quand il arrive sur l’île en juillet, « Certains avaient encore peur de rester à l’intérieur des maisons, même le temps d’un repas », raconte-t-il. Le moindre bruit inquiétait encore. « Une fois, j’ai vu des gens courir à l’approche d’un gros hélicoptère, car, étrangement, c’est un bruit qui ressemble au vacarme qui a précédé le tremblement de terre, se souvient-il. Ils ont bondi dehors, puis, réalisant leur méprise, ils se sont mis à rire, à rire d’eux-mêmes, de leurs propres peurs. » C’est à partir de ce genre d’épisodes qu’ils ont travaillé ensemble. Une fois, trois fois, dix fois, les volontaires ont repris avec Jean-Michel les histoires qui leur tenaient à cœur. L’écrivain parle de « leur soif de dire, une soif terrible », qui ne se limitait pas au 12 janvier, mais concernait aussi la vie avant le séisme, la violence des quartiers tenus par les gangs, la pauvreté de l’île, la débrouille, la solidarité et l’action maintenue coûte que coûte avec les enfants et leur famille. Quand chacun est arrivé à un texte qui le satisfaisait, ils les ont lus tous ensemble. « Avec une fierté, une vraie joie d’avoir pu raconter une part intense de leur vie », souligne Jean-Michel Defromont. Leur demande est que leurs mots voyagent, mais aussi que leurs récits ne soient pas contrefaits. Ainsi, c’est avec l’autorisation de son auteur que nous publions le bref extrait ci-dessous.

Paul Falzon-Monferran

La nuit de la catastrophe, cette fameuse nuit

Partout je voyais des gens qui, comme moi, cherchaient leurs proches. Bien que frappés par le désespoir et la souffrance, ils trouvaient la force de bouger.
Pour moi, ma mère n’avait rien. À l’heure du séisme, elle devait se trouver sur la route. Mais dans la première Avenue, j’ai entendu quelqu’un dire : « Un bus s’est retourné et il y a des morts à l’intérieur. » Là j’ai pensé à ma mère. Peut-être avait-elle pris ce bus ou un autre pour rentrer du travail ?
Plus loin, j’ai vu le bus. Dedans j’ai vu les corps. Il faisait déjà noir, impossible de distinguer les visages. Je refusais l’idée même qu’elle soit là.
Sur la route, dans une école j’ai vu des élèves coincés entre les étages, le corps en partie dehors, d’autres retenus par le pied, le bras ou la poitrine. Devant cette école, beaucoup de familles pleuraient. Des gens essayaient de creuser avec une sorte de burin pour débloquer ceux qui étaient coincés dans les décombres. Un homme parlait à sa fille prisonnière, là, le bras coincé sous des blocs.
Devant l’école d’infirmières, on entendait des cris de sous les dalles de béton. Et sur la rue, des gens de leurs familles qui pleuraient, se demandant comment leur venir en aide.
Et je ne parle pas de toutes les maisons effondrées sur la route.
De voir tout ça, je me sentais triste et j’avais peur. Il y avait toujours des secousses. C’était comme si moi-même je m’attendais à ma propre mort. Je me disais : « Ces gens, ils sont morts. Et moi, est-ce que je ne vais pas me retrouver coincée aussi, souffrir et puis mourir ? »
En arrivant à la Rue Pavée, on m’a dit : « Ta maman est passée ici. Elle a pris un bus pour rentrer chez elle, mais c’était avant le tremblement de terre. »
Alors j’ai rebroussé chemin. Et j’ai marché plus vite. Je n’avais pas vu ma mère sur la route, ni debout ni par terre, et je commençais à croire qu’elle était en vie. J’ai repris le même trajet parce que je voulais pas voir plus de morts, et on m’avait dit que sur la route nationale il y en avait beaucoup plus. C’est là que j’ai entendu des gens dire que le Palais national était écrasé ! Les palais ministériels, je les ai vus, écrasés aussi. La Direction générale des impôts, j’ai entendu que des gens étaient restés à l’intérieur alors qu’ils travaillaient.
De retour dans mon quartier, tout le monde était sur la route et priait, à la lueur des lampes à mèches et des torches électriques. Des gens essayaient de donner les premiers soins aux blessés, avec les moyens du bord.
C’est là que quelqu’un m’a dit : « Ta maman vient de partir avec ta sœur Fabienne rechercher ceux qui sont à l’hôpital. » La paix revenait en moi.
Emmeline Labonté, Port-au-Prince, juin 2010

L’équipe de volontaires permanents d’ATD Quart Monde à Port-au-Prince en octobre 2010. De gauche à droite : Rosana François, Louisamène Joseph Alionat, Saint Jean Lhérissaint, Yanick Nelson, Jacqueline Plaisir, David Lockwood, Nerline Laguerre, David Jean, Nathalie Barrois, Mogène Alionat (Photo François Phliponeau). Depuis, Jacqueline Plaisir, David Lockwood et Nathalie Barrois sont repartis, Brigitte Michaudel est arrivée. Régis et Roseline de Muylder arrivent en janvier
L’équipe de volontaires permanents d’ATD Quart Monde à Port-au-Prince en octobre 2010. De gauche à droite : Rosana François, Louisamène Joseph Alionat, Saint Jean Lhérissaint, Yanick Nelson, Jacqueline Plaisir, David Lockwood, Nerline Laguerre, David Jean, Nathalie Barrois, Mogène Alionat (Photo François Phliponeau). Depuis, Jacqueline Plaisir, David Lockwood et Nathalie Barrois sont repartis, Brigitte Michaudel est arrivée. Régis et Roseline de Muylder arrivent en janvier

L’équipe d’ATD Quart Monde à Port-au-Prince compte dix volontaires permanents dont sept Haïtiens. Pour les familles de Grand Ravine, la diversité de cette équipe est une grande sécurité dans les relations avec les habitants comme dans celles avec les pouvoirs publics, les ONG et l’Unicef. Par ailleurs, de jeunes Haïtiens participent activement et bénévolement à certaines actions, en particulier aux bibliothèques de rue. Le Conseil des Amis du Mouvement en Haïti joue aussi un rôle déterminant depuis plusieurs années, en soutenant concrètement et dans la durée l’action d’ATD Quart Monde dans le pays.

Photo du haut : À Port-au-Prince, des enfants du quartier de Grand Ravine ont participé le 20 novembre 2010 à une fête dans le cadre de la Journée internationale des droits de l’enfant. Ils ont présenté une exposition et un spectacle. Dieula a dit le texte suivant : « Gade sitiyasyon m ap viv. Tout lajounen m ap chita lakay. Si manman m ak papa m t ap travay, yo t ap fè m fre menm jan ak pitit vwazen an, yo t ap ka voye m lekòl, ban m manje, m t ap byen viv. Te kwè yo di paran yo dwe jwenn bon jan ankadreman ak pwoteksyon pou timoun yo ka viv byen. Ki lè m ap yon timoun toutbon vre ? » (« Regardez ce que je vis. Toute la journée, je suis assise à la maison. Si ma maman et mon papa avaient du travail, ils pourraient payer pour moi comme c’est le cas pour mes petits voisins. Ils pourraient m’envoyer à l’école, me donner à manger, je vivrais bien. Je croyais qu’on avait dit que les parents doivent avoir le soutien nécessaire pour que leurs enfants puissent bien vivre. Quand est-ce que je serai un enfant tout de bon vrai ? »). Photo Rosana François.