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Pierre Saglio : « Transformons nos modes de vie, nos comportements et notre consommation »

Pierre Saglio anime à ATD Quart Monde un groupe de travail sur le développement durable. En novembre 2009, Valérie Létard, secrétaire d’État chargée du développement durable, l’a sollicité pour lui faire, avec Alain Chosson, de la CLCV, des propositions sur la « Transformation des modes de vie, des comportements et de la consommation ».

La préoccupation de l’environnement ne se trouve-t-elle pas à mille lieues de la lutte contre la pauvreté ?

Le développement durable ne se limite pas à l’environnement. J’aime beaucoup la définition qu’en a donnée Patrick Bourse : « Donner plus d’ampleur à la vie. Transformer nos manières de vivre en mieux pour la terre et pour les gens ». Elle montre que le courant du développement durable, qui rassemble des personnes qui se posent des questions fondamentales sur notre avenir commun, a besoin de la contribution des pauvres, comme ceux-ci ont besoin de leur réflexion.

Le développement durable refuse les « développements séparés » ?

Il refuse de séparer l’environnement, l’économie et la lutte contre la pauvreté. Il refuse aussi que le développement des uns pille les richesses des autres, que l’amélioration de la vie des uns se fasse en dégradant celle des autres. On pense spontanément aux écarts entre pays du « Nord » et du « Sud ». Mais ce n’est pas tout. Peut-on accepter qu’à l’intérieur d’un même pays, le développement durable ne fasse pas progresser tout le monde ?… Que certains soient confinés dans des « développements séparés », avec des « tarifs sociaux » et des circuits séparés comme les distributions alimentaires ?…

Comment éviter ces développements séparés ?

D’abord en ayant comme boussole le droit commun. Cette boussole nous réunit très profondément avec la CLCV : nous sommes ensemble militants de l’accès de tous aux droits de tous et nous pensons que tout ce qui ne conduit pas au droit commun est dangereux.

Et le droit à une sécurité de revenus ?

Chacun de nous a besoin d’argent pour vivre et faire vivre sa famille dignement : cela s’appelle la sécurité de revenus. Dans notre pays, ce droit est inscrit dans la Constitution. Elle dit que chacun doit avoir cette sécurité par son travail et, sinon, c’est à l’État d’y veiller. Pour progresser, il faut à la fois augmenter les revenus de ceux qui ont le moins et diminuer les dépenses qu’ils sont obligés de faire.

Pour augmenter les revenus, cherchons ensemble à repenser l’accès à l’emploi, et exigeons aussi de l’État qu’il augmente les minima sociaux. Quand le RMI a été créé en 1988, il valait 50% du SMIC. Aujourd’hui, le RSA socle en vaut 43%.

Pour diminuer les dépenses obligées des familles, nous avons réfléchi à modifier les tarifs de l’eau, du gaz, de l’électricité (les services essentiels) et nous avons cherché comment développer des liens nouveaux entre producteurs et consommateurs.

Pourquoi modifier la tarification des services essentiels ?

La CLCV a montré que, pour une famille avec deux enfants, les charges fixes d’eau, d’énergie, de téléphone, d’Internet…, s’élèvent chaque année à plus d’un mois de SMIC net (1055 €), même s’il n’y a aucune consommation ! Vous payez très cher l’abonnement à l’électricité ou à l’eau, alors qu’on pourrait le répartir selon la consommation de chacun. Cela diminuerait nettement les factures de ceux qui ont le moins. On peut aussi penser que le litre d’eau que vous utilisez par exemple pour remplir une piscine peut coûter plus cher que celui que vous utilisez pour boire. Dans notre rapport remis début 2010 à Valérie Létard, nous faisons avec la CLCV des propositions pour que tous aient les mêmes garanties d’accès aux services essentiels.

Et par rapport à des liens nouveaux entre producteurs et consommateurs ?

Pour mettre fin aux circuits séparés des distributions alimentaires qui ne devraient servir que pour des dépannages, je pense que l’on doit se bagarrer sur l’accès à l’emploi, la tarification des services essentiels et le montant des minima sociaux. Mais il faut aussi ouvrir des chemins alternatifs de systèmes de production, de liens entre producteurs et consommateurs dont tout le monde tire partie et qui remettent les gens debout. Peut-être pourrions-nous montrer nous-mêmes un chemin dans ce sens ? Ce serait formidable et passionnant.

Propos recueillis par Jean-Christophe Sarrot