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Non-recours au droit : des démarches sans fin

La moitié des personnes qui auraient droit au RSA n’en font pas la demande et 20% pour la CMU complémentaire (CMU-C) ; 20% des bénéficiaires de la CMU-C renoncent à certains soins. Pourquoi ? Comment ? Voici le témoignage d’un lecteur de Feuille de route .Pour avoir été un temps travailleur social (dans une autre vie), je pensais connaître plutôt bien les démarches administratives. Mais tout dépend de quel côté du bureau on se trouve.

Ainsi, lors de mes longues années de rue, à Paris surtout, je m’en suis pris des murs, me cognant entre déception, colère, dégoût et mépris.

J’ai voulu actualiser ma carte d’identité « périmée ». La loi stipule qu’une carte d’identité est valable à vie mais les flics menaçaient souvent de me la confisquer. J’entreprenais donc de la renouveler. Refus de diverses mairies car… pas de logement et une simple domiciliation administrative n’est pas valable dans ce cas.

Un jour, suite à une violente agression, je me rends de nuit aux urgences. Il me faut constituer un dossier afin d’être pris en charge. Après plusieurs jours, j’obtiens un rendez-vous avec une assistante sociale pleine d’humanité. Je suis mal en point. Une semaine plus tard, un médecin me fait une ordonnance… On me donnera des médicaments et puis c’est tout.

Bien plus tard, je retournerai dans ce même hôpital qui me demandera de refaire les mêmes démarches.

Plus tard, je décide tout de même de « relancer la machine. » En quelques semaines, je peux rencontrer un dentiste. Je dois refaire un dossier. Il y en a pour des milliers d’euros de soins. Le dentiste souhaite commencer à me soigner sans attendre six à huit mois la réponse pour la prise en charge. Je dois choisir entre souffrir de la mâchoire ou ne plus avoir de dents (à 80%) pendant près d’un an. Je renonce à me soigner.

La déception fait place à la colère quand un travailleur social me dit qu’il faudrait que je fasse des démarches pour… Aujourd’hui encore, je regrette ces moments où j’ai pu être violent verbalement avec ces personnes qui voulaient juste m’aider. Il était fatiguant pour moi de toujours répéter mes démarches vaines. La colère est le meilleur moyen de faire court.

J’observe autour de moi mes compagnons de rue. Certains travaillent comme moi par intermittence. Mais nous sommes sans logement fixe. Nous ne comptons pas. Certains sont retraités d’une longue vie de labeur et ne peuvent pas profiter du peu qu’aurait dû être leur retraite.

Les choses ont un peu évolué. Certains peuvent bénéficier du RSA mais cela n’est jamais suffisant pour recouvrir la dignité d’avoir accès à un logement.
J’ai appris à vivre (survivre) à ma façon, ne comptant que sur moi-même pour beaucoup, sur la générosité du monde m’entourant de temps en temps.
À l’heure où j’écris, j’ai un toit, des papiers, une carte vitale. Une vie « normale ».
Il n’empêche, je suis toujours déçu et en colère de réaliser que sans un logement à soi, des pans entiers nécessaire au bien-vivre échappent à une population toujours plus grandissante de précaires.

Ervé