
Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France : « Il faut que la société change »
Comment Amnesty a été amené à reconnaître la pauvreté comme une violation des droits de l’Homme ?
Cela a représenté un pas très important, puisque notre action a démarré sur un autre terrain, lorsque nous avons inventé en 1960-1961 la notion de « prisonnier d’opinion »(1). Depuis, le sérieux et l’impartialité de nos rapports sont reconnus. Nos campagnes peuvent faire plier des États. Le Prix Nobel de la Paix a récompensé en 1977 notre action en faveur de la convention contre la torture. Ces combats restent pour nous prioritaires. Mais il nous est apparu depuis que les privations de droits civils et politiques (2) étaient aussi liées à des difficultés d’accès à l’éducation, à l’eau, aux soins, au logement, à la nourriture (3)
Et donc que les droits sont réellement indivisibles…
Oui. C’est pourquoi nous militons aujourd’hui pour le respect de tous les droits humains et pour l’éradication de la pauvreté. Aucune solution à la pauvreté n’aura d’impact si les droits humains ne sont pas placés au cœur de l’action, car les atteintes aux droits maintiennent les personnes dans la pauvreté. Le programme des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ne demande pas aux États de mettre fin à ces atteintes et c’est une raison majeure qui explique qu’il rencontre des échecs.
Vos études montrent aussi comment la pauvreté expose les personnes à toutes sortes de violences…
Non seulement les personnes pauvres sont victimes de conditions de vie très violentes, mais, en plus, on les considère souvent davantage comme auteurs de violences que comme victimes. À partir de 2000, nous avons mené campagne contre la « criminalisation de la pauvreté », en particulier dans les favelas4 au Brésil, où les pauvres étaient stigmatisés par la police. Trop souvent, le fait d’être pauvre conduit à considérer la personne comme un être violent en puissance.
La recherche menée par ATD Quart Monde a au contraire mis en évidence la contribution des plus pauvres à construire la paix autour d’eux. Pensez-vous que le Comité du Prix Nobel pour la paix pourrait reconnaître officiellement cette contribution ?
Il serait très légitime que ce Prix récompense des associations comme ATD Quart Monde au sein desquelles des personnes pauvres se rassemblent pour agir. Cette reconnaissance aiderait à lutter contre les stéréotypes sur les pauvres et elle montrerait qu’il est primordial qu’ils puissent se faire entendre et participer réellement aux processus qui déterminent leur avenir.
Aujourd’hui, il ne suffit plus seulement de faire campagne pour que des États changent. Il faut aussi que la société change.
Propos recueillis par Jean-Christophe Sarrot