
Haïti : « Du travail pour reconstruire notre maison »
Dimas au cours d’une Bibliothèque de rue à Port-au-Prince (Photo Vladi Pino Amachi).
Dimas Perez, 42 ans, est volontaire permanent d’Atd Quart Monde depuis 22 ans. Entre le 3 février et le 10 avril, il était de la première équipe qui a rejoint les membres du Mouvement à Port-au-Prince après le tremblement de terre.
Pourquoi êtes-vous parti en Haïti ?
Ma première réaction face aux images de la catastrophe du 12 janvier a été de me rendre disponible. J’étais vraiment touché. Je l’ai dit à Rosa, ma femme, qui m’a répondu : « Tu es libre. » Je l’ai dit à la Délégation Générale que mes mains, mon coeur, mon esprit étaient disponibles pour Haïti. Mon fils Dimas m’a dit : « Je suis fier de toi. » Ma fille Glenda a envoyé un message aux membres du Mouvement en Haïti en leur disant : « J’aimerais bien venir vous aider, mais je ne peux pas. Mais mon père est avec vous. » La veille de mon départ, Glenda a réalisé un album avec des photos de notre famille, afin que je l’emporte en Haïti. Je l’ai beaucoup montré aux enfants et aux familles là-bas. Ils ont pu connaître ma famille et comprendre que je ne venais pas seulement en mon nom, mais au nom de toute ma famille.
Qu’avez-vous fait là-bas ?
Tout et rien. Rien, car étant donné la dimension de la catastrophe, ce que tu fais, c’est rien, tu ne vois pas bien ce que cela change. Tout est détruit dans les rues, les gens sont blessés, dorment dehors… Cela a été un grand sentiment d’impuissance pour moi. Il y a deux parties dans le quartier de Grand Ravine : l’une est complètement par terre ; dans l’autre, les bâtiments sont fissurés, inhabitables. On ne peut pas dire : « On va reconstruire une maison. » C’est tout le quartier qu’il faut reconstruire, toute la ville.
Concrètement, notre équipe a pu soutenir l’action de l’équipe d’Atd Quart Monde de Port-au-Prince dans tout ce qu’elle met en place. En lien avec l’association « Action contre la faim », nous avons aidé au recensement des enfants de moins de cinq ans dans le quartier, et à la seconde étape, qui était la distribution de galettes nutritives destinées à alimenter les enfants pendants trois semaines. La distribution a duré une semaine. Des familles ont attendu toute une journée, parfois même deux ou trois quand leur nom n’était pas reconnu dans les listes. J’en ai vu qui partageaient des galettes avec des familles qui n’en avaient pas reçu. Je n’ai pas vu de violence pendant cette semaine, contrairement à ce qu’ont rapporté des médias. La clef est dans la manière d’être avec les familles, dans cette recherche d’une rencontre humaine.
Vous avez aussi participé à l’enquête « Haïti Demain »(1) ?…
Oui et cela a été très fort pour moi. La participation des adultes et des jeunes m’a beaucoup impressionné. Les adultes s’exprimaient le matin. Ils ont dit trois choses principales : « On a besoin de travail pour pouvoir acheter notre nourriture » et non l’inverse ; « Les lieux où l’on va vivre sont importants ; nous voulons du travail pour pouvoir reconstruire notre maison » ; « Aujourd’hui, l’éducation, c’est important ; pour avoir un nouvel Haïti, nos enfants doivent apprendre. » Les adultes ont bien sûr parlé de la santé et d’autres thèmes, mais alors qu’ils sont actuellement sans maison et qu’ils ont faim, ils ont beaucoup parlé d’éducation. L’après-midi, les jeunes s’exprimaient, et ils ont souligné les mêmes points.
Vous avez également participé à une bibliothèque de rue ?…
Dans la cour de l’école Don Bosco à Port-au-Prince, il y a depuis longtemps une bibliothèque de rue avec des enfants qui vivent dans les rues. Après le séisme du 12 janvier, une autre a commencé à Martissant, avec des enfants des familles qui ont choisi de rester dans leur quartier dévasté au lieu de s’installer dans les camps de réfugiés car leur quartier, malgré l’insécurité, représente la sécurité d’être avec d’autres qui les connaissent et qui peuvent s’entraider. La question du désastre, que j’ai vécue aussi au Guatémala et aux Honduras, est que cela change toute la vie. Les enfants sont au milieu de cela et ne comprennent pas. Ils sont toujours porteurs de l’espoir, de la paix et de la joie, même s’ils dorment par terre et sous la pluie. Quand on arrivait à la bibliothèque de rue, les enfants explosaient de joie. Je ne peux pas oublier cela. À certains moments, je ne pouvais ni avancer ni reculer tellement il y avait d’enfants. Ils attendent le livre, la chanson, comme un camion d’eau ou de nourriture. Et cela redonne du courage aux parents, au milieu des préoccupations de trouver du travail, de la nourriture, de reconstruire la maison… C’est pourquoi il y avait toujours beaucoup de parents autour de la bibliothèque de rue.
La vie commence-t-elle à reprendre son cours ?
Les écoles rouvraient officiellement le 5 avril. Les classes se sont retrouvées le plus souvent sous des tentes ou dans les cours des écoles. Une grande préoccupation des familles reste de trouver de quoi s’alimenter. Une femme m’a dit un jour : « Aujourd’hui, j’ai trouvé des haricots, mais je n’ai pas trouvé du charbon pour les faire cuire. » Ce n’est pas dû seulement à la catastrophe du 12 janvier, c’est la catastrophe de la misère. Ce n’est pas nouveau.
Les Haïtiens gardent-ils l’espoir ?
Là-bas, les gens marchent. Ils savent que la situation ne va pas changer du jour au lendemain, que cela va prendre des années. Mais lorsque cela va changer, ils veulent que ça soit mieux qu’avant. La solidarité pour les Haïtiens n’est pas de donner et de recevoir sans un regard, mais d’être au côté des plus faibles. Pendant le recensement des enfants de moins de cinq ans, nous avons vu des personnes nous aider toute la journée, avec cet esprit de rencontre humaine.
Propos recueillis par Jean-Christophe Sarrot