
Réforme de l’adoption : parlons-en !
Lu dans L’Express : « Nadine Morano, la secrétaire d’État à la Famille, présentera son projet de loi sur l’adoption en Conseil des ministres, le mercredi 1er avril. Objectif n° 1 de ce texte : faciliter les adoptions nationales. Comme le soulignait le rapport remis par Jean-Marie Colombani au président de la République en mars 2008, seuls 800 enfants ont été adoptés dans ce cadre en 2007, alors que 140 000 garçons et filles font l’objet de placements de longue durée. »Si l’adoption est justifiée pour des enfants orphelins ou dont les parents ont fait le choix de l’abandon, elle est beaucoup plus difficile à vivre pour les enfants et les parents auxquels ceci est imposé. Le placement d’enfants touche tous les milieux, mais la capacité de choisir, de dialoguer avec les institutions est très fragilisée pour les parents en situation de grande pauvreté. En effet, nous voyons de manière répétée (voir le livre Réussir la protection de l’enfance avec les familles en précarité par Marie-Cécile Renoux) que ceux-ci ont moins de moyens que d’autres pour faire valoir leur connaissance de leur enfant et ce qu’ils font pour lui. Sans la part de connaissance que les parents ont eux-mêmes de leur relation avec leur enfant, la décision des services de l’Aide sociale à l’enfance s’avère sans réflexion contradictoire, ce qui va à l’encontre des libertés fondamentales garanties à tous dans une démocratie.
Si vos conditions de vie trop précaires viennent à fragiliser votre relation avec votre enfant et qu’il doive être placé, force est de constater que le placement voulu « temporaire » par la loi pour permettre de se ressaisir tend à devenir « de longue durée ».
Trop peu est fait pour accompagner l’enfant placé et ses parents afin qu’ils puissent améliorer leur relation. Ce manque de soutien nuit gravement aux démarches que font des parents défavorisés pour maintenir les relations, écrire, rendre visite (« c’est loin, c’est cher, les frères et sœurs sont placés à différents endroits »).
Les relations continuent à se fragiliser et peuvent paraître inexistantes. Tout ceci risque d’être interprété unilatéralement par l’administration comme un « délaissement ». Ce qui risque de conduire à des adoptions non comprises ni par l’enfant, ni par sa famille d’origine. De telles adoptions s’avèrent souvent difficiles par la suite.
Une vigilance nécessaire
Derrière la volonté de soutenir les enfants dans le malheur, se trouve souvent un a priori sous-jacent que l’on pourrait qualifier de « syndrome de l’arche de Zoé » : « On va sauver les enfants, ils seront toujours mieux ailleurs que dans leurs milieux d’origine néfastes. Nous ferons mieux qu’eux, autant ignorer ces milieux, leur famille, et sauver les enfants. » Tout ceci est ancré dans nos cultures vis-à-vis des pauvres. Des pays comme la Suisse ou l’Australie ont récemment reconnu le mal qui a été fait au début du 20e siècle en retirant massivement les enfants des pauvres et des aborigènes. Ces attitudes qui semblent efficaces à court terme pour le bien de l’enfant perpétuent en fait un mépris pour des peuples et pour des milieux, qui en sont durablement humiliés. Elles détruisent la confiance que ces milieux ou ces peuples pourraient avoir dans les institutions. Et cet enfant qu’on croit sauver ressentira le mépris que l’on a pour ses origines, ou une absence si on nie celles-ci. Ce faisant, on perpétue les ruptures qui désocialisent et l’on renforce cette relation de mépris entre nous qui crée la misère.
Nous avons rencontré les ministres Mmes Nadine Morano et Rama Yade pour parler avec elles de cette réforme annoncée. Nous prenons contact avec les députés pour les alerter sur les risques que pourrait représenter cette loi pour les plus démunis. Ce sont là des sujets délicats et, comme le préconisait Jean-Marie Colombani dans son rapport, ils devraient faire l’objet d’une conférence de consensus et d’un débat de société.
Bruno Tardieu, délégué national Atd Quart Monde France.