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Réforme de l’adoption : parlons-en ! (suite)

Photo : à la maison de vacances familiales d’ATD Quart Monde à La Bise (Jura), en juillet 2017. Cette maison est un lieu où des familles ayant la vie difficile viennent rechercher les batteries (ph. Vincent Bidault).

Suite à notre article du mois dernier, nous avons reçu plusieurs courriers. Voici celui de M. et Mme Durand, à qui nous avons ensuite adressé l’argumentaire d’Atd Quart Monde aux parlementaires « Point de vue du Mouvement Atd Quart Monde concernant la réforme de l’adoption envisagée par le gouvernement », que M. et Mme Durand ont aussitôt transmis à leurs députés et sénateurs.

Suit le courrier de Mme Vidal.

« Bonjour!

Je me sens obligé de répondre à votre demande de témoignage au sujet de la réforme de l’adoption parce que j’ai une double expérience d’adoptant et de membre de la Commission Départementale des Pupilles. Je ne me souviens plus du titre exact de cette commission qui avait pour fonction de donner son avis sur les candidatures à l’adoption et sur les consentements à l’adoption. J’en ai été membre en Aveyron dans les années 70 à 80…J’y ai expérimenté ce qui n’était pas encore le syndrome de l’arche de Zoé mais fonctionnait dans cet esprit. Les réalités, cependant, sont complexes! Car en face des pressions de notables convaincus que les enfants adoptés seront toujours mieux que dans leur milieu d’origine il y avait aussi l’esprit de corps du personnel social qui résistait à « l’article 150 » sans que nous puissions savoir si cette résistance défendait les enfants ou un budget…

Parallèlement à cette expérience personnelle nous avions aussi, mon épouse et moi, celle de l’adoption. Un premier garçon né en France nous avait été confié à trois mois. Un second, arrivé d’Algérie au même âge mais dans les conditions dramatiques des rapatriements de Mai 62, fut notre fils bien avant d’avoir son état-civil et son jugement d’adoption.

À cette époque de notre vie nous accueillions aussi, pour les vacances, des filles pensionnaires d’un maison d’enfants. La première qui nous fut confiée avait été enlevée à ses parents par la force publique. Elle n’était que souffrance et révolte. Nous avons fait ce que nous avons pu pour qu’elle soit rapprochée de ses parents, au moins géographiquement.

La seconde attendait sa mère tous les samedi et jours fériés, en vain. Nous étions un lénitif sur cette frustration douloureuse. Elle a cependant fait l’expérience de la fraternité avec deux garçons et d’une  autorité paternelle qui lui faisait défaut dans sa maison d’enfants….

Après deux ans de cet accueil vacancier devenu hebdomadaire un fille nous est arrivée par les voies naturelles. Notre « accueillie » a alors vécu l’expérience d’une grossesse en manifestant intensément son désir de fusion avec celle qui, de jour en jour, devenait sa mère … Ce qu’exprimait alors ses quatorze ans était probablement son désir d’être à la place de celle qui arrondissait le ventre de mon épouse…

Dès la naissance de celle qui fut alors notre première fille elles furent soeurs et nous l’avons située comme une grande soeur assurant ses  responsabilités… Nous lui avons proposé l’adoption quand il fut évident qu’elle se sentait notre fille….. Elle ne répondait que par le silence et ne l’a acceptée que trente ans plus tard, à la demande de la petite soeur dont elle avait vécu la naissance.

Nous expliquons sa longue hésitation par la crainte que cette adoption ne rompe ses liens avec ses frères et soeurs restés dans les structures d’assistance. Nos trois enfants et nous mêmes avons évidemment respecté ces délais et, au moment de son adoption, à quarante ans passés, lui avons proposé de garder son nom d’origine associé au nôtre… Malgré ces délais et précautions sa soeur et son frère non adoptés ont rompu toute relation avec elle.

Je tire trois enseignements personnels de ces expériences et vous fais juges de leur pertinence:

1° – Les enfants délaissés existent. Ils sont beaucoup plus rares qu’on ne le pense. L’évaluation de leur état de délaissement exige compétence, rigueur morale et soutien attentif de l’encadrement.

2°- L’adoption n’est pas un droit. Il faut refuser l’adoption aux couples qui n’adopteraient que pour purger une frustration affective ou un handicap de stérilité. Adopter un enfant c’est prendre en charge son avenir, quel qu’il soit. La démarche n’est d’ailleurs pas différente de celle qui consiste à accueillr et respecter la personnalité issue de vos gênes.

3°- Les questions budgétaires doivent être posées et résolues avec réalisme. J’ai connu l’époque où l’on pouvait être tenté de minimiser les situations d’abandon pour sauvegarder le volume d’un budget social. J’espère ne pas connaître celle qui multiplierait les cas de délaissement pour restreindre la responsabilité des finances publiques et le volume des budgets sociaux.

Paul et Jeannette Durand, 9 avril 2009. »

«Bonjour,

j’aimerais faire écho à votre article « Réforme de l’adoption : parlons-en ! »

En matière d’adoption, il y a une dérive qui s’opère depuis fort longtemps.

Du temps de ma grand-mère les voisins accueillaient l’enfant « turbulent », qui posait problème à la famille, ils l’élevait sans rien réclamer, même pas une « décharge parentale, vous comprenez au cas où… »

Les parents qui ne s’en sortaient pas avec leur gamin, ponctuellement ou plus durablement, n’étaient pas jugés : « ça arrive à tout le monde » et on s’exerçait une certaine solidarité, selon la bonne vieille loi qu’il est beaucoup plus facile d’élever les enfants du voisin.

Ces pratiques avaient leurs travers, il y en a toujours… étaient-ils pire que les travers des pratiques actuelles ?

D' »accueillir », on est passé à « aider ». Et des enfants du voisins on est passé, grâce au développement des moyens de communication, aux enfants du monde, « les pauvres ! » L’intention était louable : je fais partie des 5 % de la population les plus privilégiés au monde alors je veux partager. Et puis tout doucement un glissement s’est amorcé : comme souvent d’un « don » on est passé à un « dû » : « oui, mais moi je ne veux pas une adoption simple ; je veux une adoption pleinière, vous comprenez cet(te) enfant on est ses parents maintenant ». Alors l’administration a commencé à fabriquer des faux actes de naissance, barrant d’un gros trait noir l’original, pour le remplacer par « Benjamin Dupont est né de M et Mme Dupont le… à Séoul ». Évidemment, M et Mme Dupont n’étaient pas du tout à Séoul à cette date là. Et la confiscation de la filiation biologique s’est mise en place légalement. Le glissement épistémologique aussi de « je peux accueillir » on est passé à « je dois accueillir » et de « je vais aider ces parents qui n’en peuvent plus  » on est passé à « il faut enlever cet enfant à ses parents incompétents ».

Oh, évidemment, ça n’est jamais formulé comme cela ! Mais dans les faits les parents biologiques sont oubliés parce que rappeler leur existence c’est se rappeler que cet enfant n’est pas à nous. Pas plus que ne l’ai un « biologique » d’ailleurs ! Mais ça on l’oubli… aussi.

Et maintenant il s’agirait de vouloir adopter des enfants délaissés, et bien ça va mettre un paquet d’enfants à l’adoption !! Effectivement, la définition de « délaissé » va demander quelques réunions ! Et quelques assistantes sociales en plus afin de discerner quel enfant est délaissé et qui ne l’ai pas ! Et certaines familles dites « aisées » vont avoir quelques surprises !

Voyons : pourrait-on dire que le délaissement commence quand les parents laissent régulièrement leur(s) enfant(s) de 10 ans seul(s) à la maison en attendant qu’ils rentrent du travail ; « ils sont grands maintenant » !?! Ou bien quand cette femme qui ne retrouve pas de travail n’arrive pas à aller les voir dans les différentes familles d’accueil dans lesquels ils ont été placé parce que trop loin de chez elle ? Le discernement va être rude ! Car le « délaissement » psychique et affectif – sous prétexte d’éducation libre – est en train de faire des ravages. Aujourd’hui ce n’est plus « je peux accueillir », mais c’est « JE VEUX », « J’AI DROIT A » un enfant. C’est fou ce renversement !

C’est ainsi qu’on en est venu à donner des enfants à l’adoption à des personnes célibataires. Quand on sait ce qu’est la souffrance et les difficultés d’élever un enfant à deux, c’est limite criminel de confier à une personne seule – même si elle le demande ! – l’éducation d’un enfant qui est déjà carencé affectivement !!!

Il faut revoir la réforme de l’adoption, c’est certain. En profondeur. Revaloriser le statut d’adoption simple qui laisse la filiation biologique et revaloriser le statut de famille d’accueil. Notamment pour le cas de ces enfants qui ne sont pas complètement « abandonnés ».

Cette course à l’adoption a perdu son sens. C’est une course à l’imaginaire qui nous fait croire qu’on va pouvoir AVOIR un enfant. On N’A jamais un enfant – en tous les cas c’est fortement à souhaiter ! –
ON LUI DONNE LA VIE ce qui est très différent. Et nous donnons la Vie à un enfant adopté ou accueilli de la même manière. Les parents biologiques donnent la vie biologique, et parfois plus que cela, et les parents donnent la possibilité d’en faire quelque chose.

Pour certains enfants de culture très différente il est souvent préférable de favoriser le maintien dans cette culture en leur assurant santé, éducation scolaire et culturelle, entourage bienveillant grâce à un parrainage. C’est là que nous pouvons sentir que notre fameuse bonne intention d’adopter est tordue : je ne possède pas cet enfant là. Et c’est très bien !

DONNER la vie c’est transmettre, sans rien attendre, c’est ce qui permet à l’Homme, celui qui donne comme celui qui reçoit, d’être libre et vivant.

Bien avec vous.

Pascale Vidal, psychanalyste, mère « adoptive » et « biologique » , le 10 avril 2009».

(Courriers adressés à Atd Quart Monde et reproduits ici avec l’autorisation des auteurs).