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Paroles de militants Quart Monde – Doris : « Que doit-on accepter quand on a faim ? »

Mon fils vit actuellement dans un CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale). La semaine dernière, il avait faim et il est descendu voir les salariés du CHRS pour leur demander un morceau de pain. Ils étaient justement en train de prendre leur repas. J’ai entendu la discussion au téléphone car mon fils était en communication avec moi à ce moment-là. On lui a dit : « Non ! ». Mon fils ne comprenait pas. Il a dit : « Juste un morceau de pain, un petit morceau… ». « Non ! » Mon fils s’est emporté, a insulté. Je n’arrivais pas à le calmer. Il a continué d’insulter, de menacer. La faim et la colère étaient trop fortes.

Je suis militante depuis des années. Je trouve cette situation inhumaine.
Après avoir discuté avec mon fils, et malgré mes incompréhensions, je lui ai demandé de s’excuser de son comportement. Ce qu’il a fait. Le gars en face n’a pas accepté ses excuses et le lendemain, on a signifié à mon fils huit jours d’interdiction de rentrer dans les lieux.

Depuis, il a cherché tous les soirs où dormir et où manger.
S’il a pu revenir ensuite, c’est qu’il a malgré tout présenté des excuses.
Alors, dites-moi, que leur coûtait de donner un morceau de pain ? Le gars a dit à mon fils : « C’est notre repas »… Mais un bout de pain, cela devrait pouvoir se partager ?

Il paraît que la faim ne justifie pas ce comportement. Dites-moi juste : en est-on à ce point ? Je ne saisis pas. Mon combat de militante, je n’y crois plus. Dites-moi juste : était-ce normal ? Si je mange, moi, et que l’on me demande un morceau de pain, si je dis que c’est mon repas, que je ne le donne pas et que je continue à manger, seule, est-ce normal ?

En tant que mère, je me voyais dans l’obligation de calmer mon fils et de lui demander de se rabaisser, en exigeant qu’il présente des excuses.

Mon fils et moi nous n’habitons pas la même ville, et de surcroît je suis dans un petit appartement et je ne peux pas l’héberger. Je ne peux qu’être à ses côtés par téléphone pour l’écouter. Mais depuis ce jour-là, la situation me dépasse, je ne sais plus que faire et que lui dire…

Lorsque la faim se fait trop sentir, comment ne pas succomber à la colère ?
Comment comprendre que ce cri de la faim a pu le priver de logement ?
Se trouver à la rue à cause d’un petit bout de pain, est-ce admissible ?

Certes, les associations qui accompagnent les personnes en détresse font ce qu’elles peuvent, mais chacune dans son domaine. Une place en CHRS a donné un toit à mon fils, mais pas de nourriture ni de travail. Lorsqu’un droit fondamental n’est plus satisfait, pourquoi cela devrait-il remettre les autres droits en cause ?

Il faudrait que les associations travaillent davantage ensemble, qu’au moins l’une d’elles arrive à coordonner toutes les actions envers une même personne. Car on ne résout pas un seul problème à la fois, tous sont dépendants les uns des autres.

Ce serait, peut-être, le rôle d’un Mouvement comme ATD Quart Monde ?
Merci à vous d’avoir lu. Je vous demande simplement de me dire : qu’est-ce qui est normal de nos jours ? Que doit-on accepter quand on a faim ?

Doris, militante d’ATD Quart Monde à Lyon