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Abhijit Banerjee : « Les pauvres possèdent des savoirs »

Le 17 octobre 2012, l’intergroupe « Extrême pauvreté et droits de l’homme – Comité Quart Monde » du Parlement européen a organisé une conférence-débat « Comment associer les personnes en situation de pauvreté au processus décisionnel politique ? » ouverte par Abhijit V. Banerjee, directeur du laboratoire d’action contre la pauvreté J-PAL (1), qui a accepté de répondre à nos questions.

Pensez-vous que les personnes en situation de pauvreté devraient être associées à la conception des programmes de lutte contre la pauvreté ?

Je ne pense pas que les personnes pauvres puissent être associées directement à la conception de ces programmes. Ce que je pense, c’est que nous ne pouvons pas construire de tels programmes sans prêter attention à ce que les pauvres disent, font et pensent . Si vous demandez à un pauvre : « Comment dois-je concevoir un projet de transfert de revenus ? » , il ne vous donnera pas une réponse cohérente. Il y a d’une part le professionnalisme des concepteurs de programmes et d’autre part la nécessité d’agréger les savoirs. Les pauvres possèdent des savoirs. Mais cela ne signifie pas qu’ils possèdent des savoirs spécifiques leur permettant de saisir tous les enjeux. C’est pourquoi je ne pense pas qu’ils devraient concevoir directement les programmes. Je pense que nous devons leur prêter attention et les interroger avant de concevoir les programmes.

Que pensez-vous de l’objection de certains experts qui disent qu’une telle approche serait très coûteuse ?

Nous gaspillons des tonnes d’argent. Les mauvais programmes sont infiniment coûteux, car vous promettez des choses aux gens et rien ne se produit. Je pense que si nous faisions les choses bien, nous économiserions de l’argent sur le long terme.

conf débatQu’avez-vous appris en rencontrant des militants du Mouvement ATD Quart Monde à Bruxelles le 17 octobre ?

J’ignorais ce qu’ils font et je l’ai découvert. J’ai appris quelque chose qu’en réalité j’ai toujours senti : que les pauvres réfléchissent beaucoup. Ils ne se laissent pas accabler par le destin. Ils intériorisent leur situation, ils y pensent, ils s’expliquent pourquoi les choses vont dans un sens ou dans l’autre… Ils ne sont pas des machines, et je pense que c’est très important. Ils ne se contentent pas de réagir, ils sont actifs, ils ont une pensée claire. C’est ce que j’ai toujours pensé et c’est ce que j’ai vu ici.

Vous parlez souvent de l’éducation comme d’un outil pour combattre la pauvreté. Les pauvres ont besoin d’éducation. Mais les non-pauvres n’en ont ils pas besoin aussi, pour être capables d’écouter les pauvres et de savoir comment travailler avec eux ?

C’est tout à fait vrai. Et dans ce domaine, nous n’en faisons pas assez. Il faudrait par exemple encourager bien davantage les jeunes à entreprendre des projets avec des jeunes d’autres milieux. Vous apprenez énormément ainsi. Mais nous craignons tellement toute forme de travail social que nous ne le faisons pas. C’est très dommage. Les gens seraient de meilleurs citoyens et êtres humains s’ils passaient plus de temps durant leur jeunesse à parler avec des personnes pauvres.

Jean-Christophe Sarrot