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3 questions à Andrea Grunert, spécialiste allemande de cinéma

Enseignante à l’Université de sciences appliquées de Bochum, elle a coordonné le numéro du trimestriel CinémAction sur les rapports cinéma-pauvreté.

Les pauvres sont-ils souvent caricaturés ?

Il y a des représentations assez caricaturales et des clichés avec une vision pittoresque de la pauvreté ou alors le pauvre réduit à la figure de victime, d’objet. Il y a aussi le « noble pauvre », qui est pauvre mais qui a gardé une morale. Et parfois on fait face à des visions carrément discriminatoires.

Mais il y a des cinéastes dont la critique sociale est sincère. Je pense à Ken Loach qui ne cesse de dénoncer la corruption de la société britannique et ses tendances à l’exclusion. S’il n’évite pas toujours le stéréotype, il crée des personnages nuancés qu’il rend très humains. On peut aussi citer actuellement le cinéma social des frères Dardenne.

Une chose est sûre : les pauvres ne parlent pas eux-mêmes. Ils ne sont généralement ni réalisateurs ni scénaristes. Parfois ils sont acteurs dans des films traitant de la marge sociale.Youtube et l’internet offrent peut-être de nouvelles possibilités de représentations.

La pauvreté a-t-elle toujours été traitée au cinéma ?

Dès ses débuts, le cinéma a représenté les pauvres. Charlot est l’un des exemples les plus célèbres. Certains pays ont un cinéma très marqué par la critique sociale, comme l’Angleterre avec les documentaires des années 1930 et les films contemporains de Ken Loach, Mike Leigh, Alan Clarke…

Il y a par ailleurs eu de grands moments dans l’histoire où l’on a traité de la marginalisation sociale, souvent des époques de crise. Je pense au cinéma allemand des années 1920, au cinéma américain de la Grande Dépression des années 1930, au français de la même époque, au cinéma japonais des années 1920 et de l’après-guerre, plus tard au néo-réalisme italien …

Malheureusement, la pauvreté reste un sujet brûlant. Et nombre de films l’évoquent aujourd’hui. Plus que la quantité, c’est la qualité qui pêche avec des représentations qui manquent parfois de nuances.

Le cinéma peut-il aider à changer la vision de la société sur les plus pauvres ?

Je crains que son pouvoir soit limité. Mais il ne faut pas être défaitiste. Les films font partie de notre bagage culturel et des archives imaginaires de nos sociétés. Il est important de donner des visages et des voix aux hommes et aux femmes dans la marge.

Mais il faudrait expliquer davantage les conditions socio-économiques à la base du problème, et montrer que les personnes pauvres ont les mêmes désirs et besoins, les mêmes capacités et faiblesses que tout le monde.

Propos recueillis par Véronique Soulé

Pour aller plus loin
Silence, on tourne !, Revue Quart Monde n°234, juin 2015, 8 euros.
De la pauvreté, CinémAction n°149 dirigé par A. Grunert, préface de K. Loach, éd. Charles Corlet. Pour commander : www.corlet-editions.fr, Collection CinémAction.