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Gérard Lecointe : de pierre en pierre

Gérard est un homme paisible. Ou plutôt apaisé. Étonnant, non, pour ce tout juste sexagénaire dont la vie est loin d’avoir été un « long fleuve tranquille », comme en témoigne le livre qu’il vient d’écrire (De pierre en pierre , Ed. Quart Monde, 2009, écrit avec la complicité de Claire Bibard) et dont il n’est pas peu fier.

Cette écriture a été une thérapie: « En 2004, 2005, j’ai été sérieusement malade et j’ai eu envie d’écrire pour me libérer. » Avec l’aide de Claire, il a accumulé les souvenirs puis s’est senti des ailes pour y arriver, d’autant qu’il a pu se procurer un ordinateur, pour 30 euros, ça l’a aidé.

Gérard est plutôt du genre costaud, carré d’épaules, petit bedon sous le T-shirt malgré une santé fragile
qui le contraint à être sous oxygène la nuit. Il donne cette impression d’une solidité acquise avec moult difficultés.

Ses piliers pour se tenir debout et regarder son interlocuteur droit dans les yeux sont Atd Quart Monde, où il a acquis des outils « pour se respecter lui-même et se convaincre qu’il est un mec bien », et sa spiritualité. Pas un matin sans qu’il remercie Dieu. « Pas un soir sans que je me pardonne de ma journée, sans que j’en fasse le bilan pour savoir si j’aurais pu faire plus d’efforts. »

Chaque matin il sort. « Le matin ça va toujours mieux que l’après-midi ». Il a son endroit préféré au centre de Saint-Ouen l’Aumône, « près des boutiques ». Il s’assied sur un banc et entame la conversation avec ceux qui viennent le rejoindre. Car Gérard est très connu dans ce quartier : « Un quartier cosmopolite avec beaucoup de misères. » Son objectif, surtout vis-à-vis des jeunes: leur faire connaître leurs droits. Il n’aime pas « faire la charité ». Bien sûr, « quand j’ai assez de sous, je leur paie un café, quelquefois un sandwich. Il m’est même arrivé d’amener des gens chez moi pour qu’ils prennent une douche. Mais ce que je veux surtout leur dire, c’est : « T’es un mec bien et tu ne le sais pas ». » Il essaie de procurer à l’un une carte orange, à un autre des bons de repas auprès des organisations caritatives, que ce soit le Secours populaire ou le Secours catholique.

C’est avec les « Universités populaires » d’Atd Quart Monde qu’il a compris l’importance de connaître ses droits et surtout de se respecter soi-même : « Si on se respecte soi-même, on respecte aussi les autres. »

Gérard fait sa popote tous les jours. Il aime « les bonnes choses » même s’il ne consomme ni vin, ni autre sorte d’alcool. À midi il s’était fait des pâtes au gruyère et une tranche de jambon. Ce soir ce sera une soupe et un yaourt. Sa préférence va au poisson, « mais c’est cher et on ne peut pas en manger souvent.» C’est une aide-ménagère qui lui fait ses courses et met de l’ordre dans son petit appartement au 9e étage. Il a eu bien du mal à l’accepter, cette personne. Se faire servir, ce n’est pas dans ses habitudes. Il a fallu toute la diplomatie d’une amie proche pour qu’il s’y résigne. C’est lui qui a tendu la perche pour en parler : cette
amie, c’est la personne qu’il aime, ça se voit tout de suite dans ses yeux, et il en parle d’une voix qui
se fait soudain pleine de tendresse. Un séducteur, Gérard ? Eh oui. Il ne manque pas de dire qu’il « aime parler à jolie femme. » Toujours est-il qu’il est ravi de montrer un appartement bien rangé, mis à part son « petit bordel, sur sa table, comme tout le monde. »

Autre mot qui fait réagir Gérard, c’est « solitude ». On pourrait croire qu’elle lui fait peur. Certes non : « Ça fait du bien, la solitude. Ça me met en valeur. Je ne vois plus les méchancetés autour de moi. Ça m’enrichit. C’est une bénédiction.»

C’est dans ces moments qu’il repense à sa visite au Louvre avec Atd Quart Monde, il y a deux ans. Ses compagnons ont eu du mal à l’arracher à la contemplation de « La Joconde » et « de toutes les autres peintures, j’en aurais bien emporté une ou deux. »

C’est aussi quand il sera seul après la parution de son livre, en avril qu’il pourra refaire un bilan et constater que « ma vie a un sens ». Gérard, bien dans sa peau, est un homme paisible. Apaisé.

Jacqueline Beaulieu