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1968, les débuts du Savoir dans la rue

Joseph Wresinski, le fondateur du Mouvement, avait appelé les étudiants qui manifestaient au Quartier Latin à venir dans les bidonvilles « partager leurs savoirs ». Le point de départ des bibliothèques de rue. Dossier réalisé par Véronique Soulé

L’année 1968, avec tout son bouillonnement, fut aussi une année importante pour ATD Quart Monde. Elle donne le coup d’envoi de la dynamique du Savoir dans la rue, aux fondements mêmes du Mouvement. Dans les années suivantes, les bibliothèques de rue vont se multiplier, puis les Universités populaires Quart Monde.

L’année avait mal débuté. Le 9 janvier, le bidonville de La Campa, à La Courneuve, est envahi par les cars de police et les pelleteuses. « A un rythme d’enfer, raconte la revue Igloos (n°39-40, janv- avril 1968), voitures, roulottes, baraques sont broyées, englouties par les bulldozers et livrées aux flammes dans un bruit d’explosion, de concassage, de coups de maillet, de bris de verre et de feu crépitant ». Quelques familles seront relogées. Mais la plupart iront rejoindre d’autres bidonvilles.

Au printemps, avec la révolte étudiante qui gronde et les grèves qui s’étendent, les cités d’urgence et les bidonvilles où ATD (Aide à Toute Détresse, son nom initial) intervient, se retrouvent touchés de plein fouet. La Poste étant en grève, les habitants ne reçoivent plus leurs allocations. Le Mouvement lance alors des collectes. L’occasion pour Joseph Wresinski d’encourager les habitants à se prendre en main pour gérer les dons qu’ils reçoivent.

Le 14 juillet 1968 à La Cerisaie à Stains @ATDQM

Manifeste

Le fondateur d’ATD est d’abord méfiant à l’égard de la contestation. Des étudiants nantis qui discutent pour refaire le monde et qui ne savent rien de la misère qui sévit à quelques kilomètres du Quartier Latin. De plus, il s’agace de voir qu’encore une fois son « peuple » – le « sous-prolétariat », terme qu’il abandonnera cette année-là au profit du Quart Monde – est laissé à l’écart.

Francine de la Gorce (1) raconte qu’un jour, Joseph Wresinki prend en stop un étudiant qui lui explique son combat – « on veut que la société change, on demande des choses impossibles pour que cela fasse sauter les structures ». « Ému par sa sincérité, poursuit Francine de la Gorce, le Père Joseph se passionne pour le mouvement étudiant, il va dans la rue pour sentir le climat, écouter et interroger, il instaure une permanence dans la cour de la Sorbonne »…

Joseph Wresinski cherche toujours à tirer parti des situations pour faire avancer la cause de son « peuple ». Pour lui, les plus démunis doivent aussi faire entendre leurs voix. Sur le modèle des cahiers de doléances durant la Révolution, il demande aux équipes d’ATD sur le terrain de recueillir les revendications des familles. Ce sera le Manifeste « Un peuple parle ».

Wresinski au club des jeunes du Camp de Noisy années 60 @Mira Marik, ATDQM

Partage

Simultanément, il appelle les étudiants à venir dans les cités « partager leurs savoirs » avec ceux, écrasés par la misère, qui n’ont pas eu la chance d’accéder à l’université ni même parfois à l’école. Des étudiants en médecine, des Polytechniciens… débarquent dans les bidonvilles, faisant de l’aide aux devoirs, des ateliers culturels et plus tard des bibliothèques de rue.

Le 14 juillet 1968 est la première grande manifestation de Savoir dans la rue avec, dans la cité de La Cerisaie à Stains, une pièce montée par des étudiants sur les pauvres durant la Révolution et dans le camp de Noisy-le-Grand, une vaste opération d’initiation au secourisme.

Pour le Mouvement, un pas décisif est franchi. Les plus pauvres ont pris la parole. Avec d’autres engagés dans le même combat, ils ne la lâcheront plus.

Véronique Soulé