Entrez votre recherche ci-dessous :

Amener tous les élèves à être fiers de leur travail

Marie Verkindt, professeure en collège, décrit et commence quelques projets pédagogiques menés avec ses élèves et ses collègues enseignants.

Une pédagogie de la réussite basée sur des projets ambitieux qui redonnent confiance

Dans les premières années de ma carrière, il y avait tout un courant qui prônait la pédagogie de la réussite ; j’adhérais à ce courant mais ma question était : « comment faire pour qu’elle soit vraiment la réussite de tous » ? Je me la suis posée par exemple lorsque j’ai participé à une classe de « 6ème d’accueil », sorte de classe passerelle entre l’école primaire et le collège. Les élèves de cette classe n’avaient pas « le niveau » pour suivre une classe de 6ème – en particulier en français – bien que ce soit la langue maternelle de la plupart. Je proposais à l’équipe d’enseignants de lancer les élèves dans l’écriture d’un livre, ce qui représentait justement un domaine de difficulté pour eux. Afin de les entraîner dans ce défi, il fallait trouver un thème sur lequel tous auraient quelque chose à dire et particulièrement ceux qui connaissent une vie difficile. Nous avons choisi le thème des « Droits de l’Enfant », Marie_Verkindt_120-9dbaapour lequel on pouvait faire appel à l’expérience vécue par tous ou qui, au moins, pouvaient capter l’intérêt de tous.

J’avais également découvert en participant à une bibliothèque de rue d’ATD Quart Monde que, pour que les enfants s’accrochent à un travail, il fallait qu’ils puissent en être fiers. Après la lecture des livres, ils dessinaient souvent ce que leur suggéraient l’histoire ou les illustrations et il n’était pas rare qu’ils barbouillent de noir leurs dessins à peine commencés, ou qu’ils les jettent à travers tout. Par contre, lorsqu’on amenait du matériel de peinture de qualité et un vrai peintre pour les guider, ils se consacraient à ce travail avec une concentration et une application toutes particulières. Leur attention grandissait également si on les prenait en photo en train de s’appliquer et que l’on montrait la photo à leurs parents.

J’essayais donc d’appliquer ces règles à la classe de 6ème d’accueil. C’est le travail d’équipe réunissant les compétences variées des enseignants qui garantirait la qualité de la production. Celle-ci serait aussi valorisée par le fait qu’elle serait présentée à d’autres enfants. Nous avons écrit au maire de la commune, en tant que responsable de l’application des Droits de l’Enfant sur son territoire, afin de lui présenter notre travail. Il nous a reçus, la presse était présente.

Un effet inattendu de cette valorisation a été que la maman de l’enfant le plus exclu nous a accompagnés. Nous ne l’avions jamais vue auparavant au collège. Je découvrais par la même occasion que, contrairement à ce que l’on pouvait penser sur ces parents qui ne se manifestent pas au collège, nous ne pouvions pas en déduire automatiquement qu’ils se désintéressent de ce qu’on y fait.

Un autre exemple illustre encore cette volonté d’amener les élèves sur un chemin de réussite : lors d’une évaluation de connaissances, j’entends le même élève dire qu’il n’a pas étudié. Je l’interroge en dernier ; il a donc eu le temps d’intérioriser ce que les autres ont récité et réussit. Je lui donne une bonne note et plus tard, je vais le voir en particulier pour lui montrer que je n’étais pas complètement dupe et lui dis : « Te rends-tu compte, avec la mémoire que tu as, si tu apprenais tes leçons tu pourrais vraiment réussir ! À mon grand étonnement, la maman que j’ai revue après la visite à la mairie me répète cette phrase prononcée plusieurs mois plus tôt. J’en tirais la conclusion que même les parents « absents » de l’école peuvent devenir des soutiens pour nous, nos partenaires sans qu’on s’en rende compte. Cela dépend certainement de ce qu’ils perçoivent de notre attitude à travers les phrases de leur enfant.

S’appuyer sur les élèves

Plus tard, une autre expérience s’est déroulée dans une classe de 4ème « pédagogie de contrat » dans laquelle j’ai enseigné trois ans consécutifs. On rassemblait dans cette classe une quinzaine d’élèves en échec scolaire total. Certains n’avaient pas fait de 5ème. Le programme de la classe était officiellement le même que celui des autres classes de 4ème. La difficulté du groupe, bien que moins nombreux qu’une classe ordinaire, était d’être composé d’élèves « habitués » depuis longtemps à l’échec et dont la motivation – avivée par le fait de se trouver dans cette classe – ne dépassait pas le cap de deux semaines après la rentrée ! Il me semblait que rien ne serait possible tant qu’ils n’auraient pas réussi un apprentissage scolaire, ce qui paraissait inaccessible à leurs yeux.

En bibliothèque de rue, j’avais appris que pour recréer une vraie motivation, il fallait passer par la réussite de projets culturels ambitieux dans lesquels les enfants redécouvraient leurs capacités. J’ai inscrit cette classe au concours national « René Cassin » qui proposait une réalisation sur le thème : « La pauvreté et les droits de l’enfant. » Afin de stimuler la classe, j’ai inscrit en même temps une autre classe de 4ème de l’autre collège où j’enseignais. Chaque équipe de travail comprenait des élèves des deux collèges et je passais les dossiers d’un collège à l’autre afin qu’ils complètent le travail des uns des autres. Nous avons réalisé un dossier et un jeu et nous avons gagné le prix ! Ce projet m’a permis de découvrir que je ne pouvais me passer de l’aide d’autres élèves connaissant moins de difficultés.

Faire coopérer tous les élèves

En effet, la conviction que tous les enfants de la classe avaient aussi leur rôle à jouer dans la réussite des autres s’imposait de plus en plus à moi. Tapori (branche enfance du Mouvement ATD Quart Monde) m’avait appris à croire au potentiel de solidarité des enfants entre eux s’ils sont placés dans un contexte particulier. Avec le professeur principal de la classe qui enseignait les mathématiques et le professeur de français, nous avons proposé aux élèves d’une classe de 6ème un projet de classe autour de la coopération entre eux. Cela a commencé avec un dossier pédagogique proposé pour préparer la journée du refus de la misère, le 17 octobre. Il présentait l’histoire vraie de deux enfants africains dont l’un est exclu. L’autre enfant l’amène dans son groupe. Cette histoire permet une réflexion sur la pauvreté, l’exclusion et ses conséquences sur les enfants et sur leurs possibilités d’apprentissage.

Nous avons ensuite transféré ces questions à la vie de la classe à travers différentes activités. Par exemple, les élèves ont participé à la création de silhouettes en tissus les représentant collectivement. Cette réalisation leur demandait de faire un effort afin de mieux se connaître et leur donnait l’occasion de s’engager dans la lutte contre l’exclusion en cherchant comment le faire d’abord au sein de la classe. Ils se lancèrent le défi que, grâce à la coopération entre eux, personne ne redoublerait sa 6ème. Toute l’année, au moyen d’activités diverses permettant de réfléchir aux relations à l’intérieur de la classe, ils ont pu découvrir dix « recettes » pour que tout le monde puisse apprendre : « bien se connaître », « voir l’autre à partir de ses qualités », « apprendre à se taire pour mieux écouter les autres »… Ces recettes ont été placées dans une valise en bois réalisée par le père d’un des élèves en difficulté et la valise est partie vers d’autres groupes d’enfants afin qu’ils la complètent.

Le défi n’a pas été entièrement atteint, mais plusieurs élèves disent qu’ils étaient passés dans la classe supérieure grâce à l’état d’esprit créé par le projet et grâce à l’aide des autres.

Ce projet avait été présenté au début de l’année scolaire aux familles. Lors de l’évaluation qui a été faite auprès d’eux l’année suivante, presque tous les parents ont dit à la fois leur accord et l’effet bénéfique que ce projet avait pu avoir sur le développement de leur enfant : « c’est important que les jeunes vivent de tels projets » ou « Jamais, je n’aurai cru que ma fille si timide et en difficulté aurait osé jouer en public le récit de leur expérience d’année ! »