Entrez votre recherche ci-dessous :

La Délégation générale d’ATD Quart Monde : Intelligence collective

Nouvelle DG ATDComme les Trois Mousquetaires, ils sont quatre. Mais la ressemblance s’arrête là. Ils ne sont chargés de sauver ni le roi, ni la France, ni la planète. Ils ne portent pas le Mouvement ATD Quart Monde à bout de bras. Ils sont vraiment « têt ansanm » (1) avec toutes ses équipes à travers le monde. Le mandat de la nouvelle Délégation générale du Mouvement international ATD Quart Monde a débuté le 3 septembre 2012 pour quatre ans. Cela avait été préparé par un travail de réflexion mené pendant six mois afin de mesurer les forces et les faiblesses du Mouvement et les défis qu’il doit relever aujourd’hui dans le monde.

« Il est très important de fonctionner en équipe et de considérer comme une chance que l’autre pense différemment de soi », insiste Diana Skelton qui, avec Isabelle Perrin, faisait déjà partie de la précédente Délégation générale aux côtés d’Eugen Brand (que Feuille de route rencontrera bientôt). Ce que toutes deux retiennent des quatre années de leur premier mandat, c’est la multitude et la diversité des engagements qui construisent le Mouvement ATD Quart Monde et la capacité qu’ont ses membres de se rencontrer, de réfléchir et de penser ensemble, de New York à Dakar, de Manille à Paris, jusqu’aux coins les plus reculés du globe.

Creuseur de puits

Très jeune, Jean Toussaint pensait que, pour lutter contre la pauvreté, il fallait être agronome, médecin ou creuseur de puits dans le Tiers Monde. Lorsqu’il découvre ATD Quart Monde, il comprend que, si les experts savent bien construire des hôpitaux et des puits, ils ignorent comment faire disparaître la misère. « J’ai compris que ce n’était pas une question technique, mais une question posée à chacun d’entre nous », précise-t-il. Un jour, alors qu’il habite une cité d’urgence, une voisine lui demande de l’accompagner afin d’aller chercher un colis alimentaire. Au retour, elle pleure en lui confiant : « J’ai encore dû mentir pour pouvoir être aidée. » « J’ai réalisé alors, poursuit Jean, l’importance de créer des espaces de liberté. On ne peut pas apprendre à se comprendre et à vivre ensemble dans des situations de dépendance. » Après près de 30 ans dans le Mouvement, il sait que ceux qui s’engagent contre la misère sont confrontés à la souffrance et à la mort. « Cela nous oblige à faire un travail intérieur pour pouvoir vivre la joie et la chaleur humaine sans fuir la souffrance. Notre monde a sans doute besoin de cela aussi. Aujourd’hui, je suis frappé par le foisonnement de bonnes volontés, de gens qui ne sont pas satisfaits par la manière dont notre monde fonctionne. Certains s’engagent pour l’annulation de la dette du Tiers Monde, pour la régulation de la finance, pour une société plus raisonnable et respectueuse de la nature. Il y a beaucoup d’intelligence dans ces combats, mais il n’est pas assuré que les très pauvres y gagneront automatiquement quelque chose.(2) Si ce que l’on cherche est une planète plus humaine pour tout le monde, pourquoi n’y réfléchit-on pas avec tous dès le début ? »

Au-delà d’un quotidien impossible

Jacqueline Plaisir est guadeloupéenne. Elle a grandi avec ses six frères et sœurs et dit avoir beaucoup appris de son père qui avait un sens de la justice, une justice qui respecte les hommes et considère chacun avec équité.

Cherchant comment vivre en cohérence avec ses convictions, elle a travaillé dans plusieurs domaines, notamment la promotion de la culture antillaise (à ses yeux, « les sociétés nées de l’esclavage ont encore beaucoup à nous apprendre ») et l’accompagnement d’enfants placés. Elle rencontre le Mouvement ATD Quart Monde en 1996 et s’engage comme alliée puis volontaire permanente. Avec son mari David, elle rejoint l’équipe d’Haïti et ils partagent pendant neuf ans les rêves et les aspirations des familles de Port-au-Prince qui cherchent la vie avec ténacité. « Être aux côtés de ceux qui vivent de façon répétée les chocs de la misère, dit-elle, c’est découvrir la souffrance mais aussi, dans la confiance créée, c’est s’unir, envers et contre tout, à leur espérance, en tenant les uns aux autres, au-delà d’un quotidien impossible. »

Une ressource gaspillée

Pour Diana Skelton, « un grand défi qui se pose à nous aujourd’hui est celui de la communication. Pour quoi et comment les gens communiquent-ils aujourd’hui, à travers quels médias, quels mouvements citoyens, etc. ? Comment les personnes qui vivent en situation de pauvreté peuvent-elles participer à ces échanges avec d’autres citoyens, avec les politiques ? Nous vivons dans un monde où il faut protéger nos ressources naturelles. Mais il existe une ressource naturelle dont on ne pense jamais découvrir la richesse : l’intelligence de ceux qui vivent dans la misère. C’est elle qui, combinée avec les autres, nous amènera sur des fronts nouveaux dans la lutte contre la pauvreté, mais aussi dans d’autres domaines. Nous devons apprendre comment mieux communiquer. »

Nul doute que ce sera l’un des thèmes abordés lors du travail d’évaluation-programmation qui mobilisera bientôt le Mouvement ATD Quart Monde. L’objectif : mesurer comment ses actions sont utiles aux plus pauvres et aboutir à un nouveau « Contrat d’Engagements Communs 2013-2017 », après celui qui a concerné les années 2008-2012.

Principes directeurs

Pour l’heure, Isabelle Perrin se réjouit avec toute l’équipe de l’adoption récente par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies des Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme. « C’est un encouragement, une nouvelle à faire connaître, explique-t-elle. Les familles qui, à travers le monde, résistent à l’indifférence et aux humiliations, ont le droit de savoir qu’il y a un texte des Nations Unies qui prend leurs efforts, leur résistance, leur manière d’agir comme critères de ce qu’il faut mettre en œuvre pour en finir avec la violence de la misère. Et alors que la communauté internationale commence à penser le contenu de l’après 2015 (3), ces Principes directeurs sont un instrument solide pour sortir enfin de politiques de réduction de la pauvreté et mettre en œuvre des politiques globales qui s’appuient sur les droits de l’homme. »

Jean-Christophe Sarrot