
À Madagascar, la « bibliothèque de tout le monde »
Le 19 octobre 2013, le quartier de Antohomadinika à Antananarivo, la capitale de Madagascar, a vécu une grande fête. C’était les dix ans de la bibliothèque que les habitants ont construite avec ATD Quart Monde. Tout a commencé par des bibliothèques de rue, dans les années 1990. Voici quelques témoignages des participants à cette aventure.
Naina : « La bibliothèque de rue nous a beaucoup apporté à moi et aux enfants de mon quartier. Beaucoup d’enfants ne pouvaient pas aller à l’école à cause de la misère de leurs parents. Le fait que dans le quartier, il y avait une bibliothèque de rue, cela a ouvert l’esprit des enfants et de ceux qui les entourent. L’idée de construire une bibliothèque à Antohomadinika vient des bibliothèques de rue. On ne regarde ni l’âge, ni les diplômes, ni le rang social : tout le monde peut venir approfondir ses propres connaissances. Quand nous avons beaucoup de soucis, nous allons à la bibliothèque et quand on en ressort, on se sent plus léger. Le lieu est beau et cela donne envie d’y aller, d’y rester. Elle est aussi pour nous un lieu de rencontre avec d’autres. »
Marguerite : « J’ai quatre enfants. Je fais des petits boulots comme chercheur d’eau, je transporte des cailloux pour les gens qui construisent leur maison, je fais de la lessive par ci et par là… Il faut que les enfants aillent à l’école, qu’ils réussissent l’école afin de bien gagner leur vie. L’éducation, c’est aussi de savoir vivre, il faut que les enfants arrivent à bien vivre avec les autres sinon, même s’ils ont de bons métiers, ils seront seuls et ce n’est pas bien. »
Bernadette : « Je suis vendeuse de balais ambulante. Je ne sais pas lire, mais j’empruntais des livres pour mon mari et mes plus grands enfants. Le soir, les enfants nous lisaient quelques pages et mon mari me lisait aussi une ou deux pages avant de dormir. Tout cela nous donnait une bonne occasion d’être en famille. J’ai pu profiter des bienfaits des livres sans savoir lire. »
Voahirana : « Beaucoup des personnes du quartier ont participé à la construction. Des jeunes ont coulé la dalle et moi-même j’ai apporté de l’eau. D’autres transportaient les briques ou du sable… C’est une bibliothèque de tout le monde. Ici dans le quartier, les gens ont beaucoup de difficultés pour vivre, la misère attaque. Nous avons décidé qu’il y aurait une cotisation normale à payer une fois par an. C’est important de participer financièrement pour cette bibliothèque. Les enfants et les jeunes du quartier trouvent un lieu pour élargir leurs connaissances et même des personnes qui ne sont pas du quartier viennent aussi puiser des biens chez nous. »
Mamy Nirina : « Mes frères et sœurs avons vécu dans la misère parce que maman nous a élevés seule. Elle a fait des efforts avec le peu de revenu qu’elle a pu trouver, pour que nous fréquentions l’école, même si notre connaissance n’était qu’élémentaire. Je suis une fille très timide, solitaire et je n’avais pas d’amis. C’est la lecture qui m’a aidée dans mes études et qui m’a appris beaucoup de choses. L’année 2003, on m’a nommée responsable de la bibliothèque nouvellement construite. J’ai grandi avec la bibliothèque de rue et je suis, depuis longtemps, membre du Mouvement ATD Quart Monde. Par la suite, j’ai quitté mon ancien travail et j’ai suivi avec Hanitriniala une formation auprès de la bibliothèque municipale. Cela fait déjà dix ans que je travaille comme bibliothécaire. Cette bibliothèque est d’une grande importance pour moi car j’y ai puisé beaucoup de connaissances qui m’ont permise de servir les autres et de faire face à ma vie quotidienne. »
Hanitriniala : « Je suis issue d’une famille très pauvre. Quand j’avais 14 ans, j’ai intégré le groupe des jeunes du Mouvement ATD Quart Monde et j’ai rejoint l’équipe d’animation de la bibliothèque de rue. De plus en plus de parents et de jeunes ont voulu emprunter des livres. Depuis, on a rêvé de construire une bibliothèque. Cela fait dix ans que je suis responsable de cette bibliothèque. J’avoue que malgré divers problèmes, cela me passionne et m’enchante. Mes relations avec plusieurs personnes, notamment les plus démunis qui ont partagé et échangé leur vie, m’ont renforcée, m’ont poussée à persévérer et m’ont fait connaître beaucoup de choses. La bibliothèque constitue un lieu de réunion et de lecture. Elle est aussi devenue un centre d’éducation, de partage et de communication. Chacun a sa place et y trouve ce qui lui convient, que ce soit ceux qui savent lire ou ceux qui ne savent pas. »

Reportage photo François Phliponeau.