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14 juin 2016 : la précarité enfin reconnue comme une discrimination

Traiter quelqu’un de « cas soc’ », exclure un enfant de chômeurs de la cantine… ATD Quart Monde a gagné la bataille pour inscrire la discrimination pour précarité dans la loi. Il reste à lui trouver un nom et à faire évoluer les esprits.

C’est gagné ! La précarité sociale est désormais un critère de discrimination dans la législation française. Après les sénateurs le 18 juin 2015, les députés ont voté une loi en ce sens le 14 juin dernier. Pour ATD Quart Monde, c’est une victoire qui couronne sept ans d’efforts (lire ci-dessous).
« C’est enfin la reconnaissance de ce que vivent les personnes plus pauvres, se félicite Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde France. C’est une grande avancée, un pas indispensable pour qu’enfin cette discrimination soit reconnue et nommée. Mais c’est aussi le début du chemin. Il reste du travail à faire auprès du grand public pour que les gens comprennent ce qui se cache derrière cette discrimination dont les marques sont souvent insidieuses. »
Dans un livre blanc en 2013, le Mouvement avait démontré, exemples à l’appui, que des personnes en situation de grande pauvreté souffraient de discriminations en raison même de leur précarité.
Les auteurs du rapport avaient procédé à des testings. Par exemple, ils avaient comparé les candidatures spontanées à un emploi de caissier dans la grande distribution : une personne passée par une entreprise d’insertion ou vivant en centre d’hébergement recevait nettement moins de réponses positives qu’une autre, moins défavorisée.
Or tout se passait comme si cela n’existait pas. La loi reconnaissait que des personnes pouvaient être injustement traitées car elles habitaient un quartier sensible ou souffraient d’un handicap. Mais elle ignorait les injustices visant les personnes pauvres.
Que change cette loi ? La discrimination pour précarité sociale est inscrite dans deux textes : dans le Code pénal, ce qui implique qu’elle peut être sanctionnée par la loi, et dans le Code du travail. Elle s’ajoute aux 20 critères déjà reconnus.
Mais les législateurs ont jugé trop flou le terme de précarité sociale. Ils ont préféré une autre formulation : une personne ne peut être discriminée en raison de « sa particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique ».
Tout ne va pas pour autant se résoudre par miracle, comme l’a souligné un député le 14 juin. Mais c’est une base nécessaire pour faire évoluer les mentalités, voire, dans les cas les plus flagrants, pour intenter un procès.
Du chemin a été parcouru depuis 2009, l’année où ATD Quart Monde a lancé le combat (lire ci-contre). Il a fallu convaincre les responsables, les hommes politiques. Une pétition, signée par 40 associations et syndicats, a popularisé la cause. Et peu à peu, l’évidence s’est imposée.
Désormais, des personnes vivant ou côtoyant ces injustices peuvent être entendues. Parmi les exemples que nous citons, les trois premiers viennent de militants, connaissant ou ayant connu la grande pauvreté, qui sont intervenus le 31 mai 2015 aux Rencontres d’ATD Quart Monde.

7 ans de mobilisation

Le vote de la loi couronne les efforts d’ ATD Quart Monde soutenu par ses partenaires.
En 2009, le Mouvement se saisit de la question et dépose un dossier à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (la Halde).
En septembre 2013, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) rend un avis demandant un critère de discrimination fondé sur la précarité sociale. Le mois suivant, le Défenseur des Droits Dominique Baudis soutient à son tour l’initiative d’ATD Quart Monde.
Le 17 octobre 2013, le Mouvement publie le livre blanc « Discrimination et pauvreté » démontrant des traitements injustes notamment dans la santé et l’emploi. Simultanément, 40 associations et syndicats lancent la pétition « Je ne veux plus » où ils réclament la reconnaissance de la discrimination pour précarité sociale.
En décembre 2014, le sénateur PS de Loire-Atlantique Yannick Vaugrenard publie une note comparant les législations étrangères sur le sujet. Il évoque 4 pays ayant institué une interdiction explicite de cette discrimination et qui ont obtenu des résultats. En Europe, la Belgique, qui l’interdit depuis 2007, est en pointe. Les trois autres pays sont l’Afrique du sud en 2000, la Bolivie en 2010 et l’ Equateur en 2014.
Le 18 juin 2015, le Sénat vote à l’unanimité la proposition de loi « visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale ».
Le 14 juin 2016, l’Assemblée nationale l’adopte à son tour. ATD Quart Monde lance un vote pour trouver un nom désignant cette discrimination.

21 critères de discrimination

La loi interdit que l’on traite injustement des personnes en raison de critères dont voici la liste : l’origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, le lieu de résidence, l’état de santé, le handicap, les caractéristiques génétiques, les moeurs, l’orientation ou identité sexuelle, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, et désormais la précarité sociale.

Photo : Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde France, et Ségolène Neuville, secrétaire d’État à la Lutte contre l’exclusion, juste après le vote le 14 juin 2016 (photo Carmen Martos, ATD QM)