
Christian Scribot : « Participer ne peut se faire sans créer de la confiance »
Militant à Atd Quart monde depuis de nombreuses années, Christian Scribot siège au Conseil communal de Concertation de Lille (CCC) où depuis trois ans il représente ATD Quart monde parmi les 160 organisations qui émettent des avis à la municipalité. Ses prises de parole ne passent pas inaperçues…
À quelle(s) condition(s) la parole des personnes pauvres peut elle être reçue dans ce type d’assemblée ?
Deux choses: il faut être reconnu par les autres. C’est à dire par tous ceux qui sont la société : les élus, les commerçants, l’école, le voisinage, etc. Ensuite, se considérer soi même comme faisant partie de cette société. La seconde : j’ai appris dans ma vie qu’il était important d’être reconnu pour les valeurs qu’on porte et non pour les images négatives qui peuvent être liées à vous, y compris celle d’être soumis. Cela ne va pas de soi. Il faut à la fois apprendre et être accompagné.
C’est une exigence démocratique ?
Oui. Il ne suffit pas de dire : « Ces personnes ne viennent jamais aux réunions », il faut se dire : « Quels moyens se donne-t-on pour faire en sorte que ces personnes aient leur place à part égale ? » pour les reconnaître dans leur savoir faire.
Entre ce qu’on projette pour une ville ou un quartier, et ce que vit une personne en difficulté, les priorités ne sont pas forcément les mêmes ?
Le rapport au temps est un facteur qui n’est pas neutre : les personnes dans la difficulté vivent dans le présent et elles subissent le présent. On leur demande de s’associer à des projets collectifs alors qu’elles n’ont pas de projet pour elles-mêmes. On exige d’eux, par exemple à l’école, qu’elles s’impliquent dans un projet scolaire, mais aussi qu’elles ne viennent pas salir celui-ci avec leur image de pauvre ou leur besoins de pauvre. La pauvreté fait peur. Il faut pourtant tout faire pour participer à des projets d’avenir avec les pauvres…
Malgré de tels obstacles, comment réussir néanmoins et donner les chances au dialogue ?
En y mettant des conditions et des moyens. Il faut que ces personnes soient accompagnées, ça c’est les moyens. Et la condition, c’est surtout qu’elles soient protégées par rapport à ce qu’elles peuvent dire, et par rapport à leur savoir et les conséquences directes qu’elles peuvent subir.
Parce qu’en parlant, elles prennent des risques ?
En parlant, elles prennent beaucoup de risques. Ce sont d’ailleurs les seules qui prennent des risques. Les personnes pauvres sont souvent fragiles, parfois agressives en raison de leur vie quotidienne. Elle sont sans cesse en danger pour leur famille, la peur de ne pas avoir le logement qu’elles attendent, la peur qu’on les sépare de leurs enfants : le placement des enfants, on y pense toujours. C’est une angoisse. Il faut donc qu’il y ait des personnes garantes avec elles que ce qu’elles diront de leur fera pas de tort.
Moi, je suis témoin de toute l’énergie que ces personnes dépensent pour être actifs, pour être entendues. On ne peut pas imaginer toute l’énergie qu’elles mettent … alors quand on les traite d’ « assistés »… C’est pour cela qu’il faut qu’elles soient associées aux décisions, aux concertations. Mais il faut aussi leur donner le temps de pouvoir s’exprimer. Cela ne peut se faire sans créer de la confiance. En s’interdisant de juger.
Au CCC, comment vivez-vous votre place ?
Lors des premières réunions du CCC, j’ai pris le temps de mieux connaître la motivation des autres représentants d’associations qui étaient là. Dans une réunion, dans un groupe de travail, il ne suffit pas de témoigner, il faut aussi écouter, apprendre à comprendre, construire sa réflexion. Et il faut être solide, car on entend des choses violentes parfois.
Donc, avoir sa place ce n’est pas seulement s’exprimer…
Pour être dans un groupe, il faut d’abord un temps d’adaptation. Observer ce qui fait vivre ce groupe, quel est son projet. Ensuite il faut préparer ses interventions. C’est du travail… Avant de parler, il faut comprendre. Mais ensuite, ne pas hésiter à provoquer, à être décalé.
N’y a t il pas aussi un risque de n’être qu’un alibi ?
Ce risque existe si on n’est pas accompagné par un groupe, si on n’est pas préparé, formé, s’il n’y a pas un travail de fond derrière. Le témoignage n’a pas de valeur s’il n’est pas analysé. Cela n’a de sens que si on est porteur de la parole des autres et si l’on est assuré qu’elle ne sera pas détournée.
Dans l’avis du Conseil Communal de Concertation sur l’accompagnement des bénéficiaires du RMI, votre témoignage a été déterminant. Certains étaient bouleversés. Ils n’avaient jamais entendu cela. Avez-vous eu le sentiment que votre apport était essentiel ?
Il a fallu que je saisisse en quoi je pouvais apporter quelque chose et comment j’allais le dire. Comprendre la méthode et le projet. Mon expérience avec ATD Quart monde et d’autres associations m’a beaucoup aidé. Mais j’ai vérifié aussi avec d’autres, notamment avec le Forum de l’insertion, ce que je pouvais apporter, ce que je pouvais transmettre. Ce n’était pas une affaire personnelle, mais un travail de longue haleine, collectif, de plusieurs mois.
Il existe beaucoup de dispositifs concernant les personnes en situation de pauvreté. En quoi la parole de ces personnes serait-elle légitime ?
Il est indispensable que cette parole soit entendue par ceux qui prennent des décisions. Les décisions sont des choix. Une décision n’est jamais neutre. Par exemple pour le RMI ou le RSA, si on ne traite que le volet financier et pas l’insertion, l’objectif est raté : on ne traite que d’un seul aspect de la personne et on ne le considère pas comme un citoyen. Je suis attaché à ce mot « citoyen », parce que la République doit reconnaître chacun dans la dignité, et la dignité c’est le respect, un mot difficile quand il s’agit des personnes très pauvres. Et pourtant, la personne qui vit à la rue, qui est handicapée, porte des valeurs. Et comme c’est l’histoire qui construit l’avenir, c’est leur histoire à chacun qui construit notre avenir à tous. C’est cela leur apport à la société. Reconnaitre un être humain par ses valeurs c’est aussi la conscience de la société.
Propos recueillis par Pascal Percq pour le mensuel Feuille de route Quart Monde n°382, mars 2009.