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Évelyne et Maurice Dubois : « ATD, c’est notre deuxième famille »

Évelyne et Maurice menaient une vie tranquille à Sannois, dans la banlieue nord de Paris, avec leurs quatre enfants.
Elle, retraitée de la Poste, lui, jardinier à Saint-Gratien, la ville d’à côté. La galère leur est tombée dessus d’un coup, comme la foudre. Ils racontent.Pour aller à Saint-Gratien où habitent aujourd’hui les Dubois, il faut emprunter la ligne C du RER. En vingt minutes, on passe des stations « Avenue Foch » ou « Avenue Henri-Martin » à « Gennevilliers » et « Épinay-sur-Seine », contraste saisissant qui vaut toutes les études sociologiques…
La station suivante est « Saint-Gratien », ville composée de quartiers riches, vers Enghien-les-Bains, et d’autres plus difficiles.

Maurice_200-85db0Les Dubois habitent à deux pas de la gare, un trois pièces dans un immeuble à côté du Parc urbain, le « domaine » de Maurice, l’un des jardiniers de la ville. « J’ai fait  soixante-huit demandes de boulot dans la région, raconte-t-il. Embauché pour six mois à Saint-Gratien, j’y suis depuis trente et un ans. » C’est Évelyne qui, après son concours administratif à la Poste, a fait monter le couple de son Auvergne natale vers la région parisienne où elle a été nommée.

L’expulsion

Argenteuil, Bezons, Franconville, les postes se succèdent, les enfants naissent – trois filles, un garçon -, la famille s’installe à Sannois en HLM. Leur fille aînée a déjà deux enfants et Amandine, leur petite dernière, va entrer en sixième, quand un événement bouleverse leur vie. Générosité instinctive sans souci de prudence, méconnaissance des règles administratives des  HLM, les Dubois veulent aider deux Algériens en situation difficile qui habitent leur immeuble. Les choses se passent très mal. La sanction tombe : expulsion et suppression des allocations familiales. La famille Dubois se retrouve à la rue.

La vie en hôtel

Assis autour de la table de la salle de séjour, face aux 248 grandes tasses « toutes différentes » qu’elle collectionne, Évelyne et Maurice racontent leur galère. « En stéréo », l’un finissant la phrase de l’autre, ce qui amuse beaucoup leur fille Amandine, 18 ans aujourd’hui, qui assiste à notre rencontre.

« Nous avons d’abord vécu dans un Etap-Hotel à Pierrelaye. Deux chambres de 12 m2 chacune, sanitaires compris, pour nous six : notre fille aînée et ses deux enfants – Laura, 3 ans, Kyllian, 6 mois – nous et notre fille Amandine. 29 € puis 35 € par chambre et par jour au fil des mois. Les services sociaux nous ont proposé 200 ou 300 € d’aide si on plaçait la gamine. On a refusé. Ils placent un peu vite à la DASS… »

Une soirée « Fil de fer »

Un jour, Évelyne accompagne une amie, Chantal, qui rend visite à son ex-mari vivant ses derniers instants à l’hôpital. À la porte de la chambre, l’infirmière leur dit : « Ne faites pas attention, il perd un peu la tête. » Quelques minutes plus tard, l’homme dit à Évelyne : « Tu es à l’hôtel à Pierrelaye. Là-bas, il y a ATD Quart Monde. Vas-y. » « Quand je rentre, raconte Évelyne, j’en parle à mon mari. ATD, ce nom ne nous dit rien. Je regarde dans l’annuaire : ça existe. J’appelle et je tombe sur Carine. On discute et elle nous invite à une soirée « Fil de fer ». Objectif : avec du fil de fer, fabriquer quelque chose d’important pour soi. Évidemment, je bricole une maison. Amandine en fait une avec un cœur. Tout a commencé comme ça. »
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Parler sans être jugé

Carine Aussedat, une volontaire permanente d’ATD Quart Monde du Val d’Oise, va venir voir régulièrement les Dubois. Elle suit leur dossier de demande de logement. Au bout d’un an, la direction d’Etap-Hotel demande à la famille de quitter les lieux : « L’hôtel n’est pas fait pour vous ». Commence alors une errance d’hôtel en hôtel. « Carine arrivait avec son Espace gris et nous déménageait, raconte Maurice. Elle était tout pour nous, notre déménageuse, notre confidente, notre amie. »

Évelyne est invitée à participer à des réunions de l’Université populaire d’ATD Quart Monde une fois par mois, l’après-midi. « C’est un lieu, explique-t-elle, où l’on peut parler librement sans être jugé. Les gens nous écoutent. Au début, ils parlaient tous et moi je ne disais rien, je restais dans mon coin. Mais j’ai vu des gens dans une situation pire que la nôtre et d’autres qui vivaient mieux. Le soir, je racontais à Maurice. »

Enfin un logement

Amandine, de son côté, vit une scolarité de plus en plus difficile. Ballottée d’hôtel en hôtel, entourée des petits, comment faire ses devoirs ? C’est elle qui va choisir d’être placée, d’abord à Eaubonne puis à Sannois, chez une copine. Enfin, le 27 mai 2007, un logement est trouvé pour les Dubois à Saint-Gratien. « Nous sommes restés à l’hôtel trois ans, un mois, vingt-quatre jours. Je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi », dit Évelyne. « Ça casse une famille, ça laisse des traces », ajoute Maurice.

Depuis 2009, Évelyne fait partie du projet HAVEA « Habiter et apprendre à vivre ensemble autrement », initié par ATD Quart Monde. Elle est chargée, avec d’autres, d’aller à la rencontre des familles mal-logées d’Argenteuil et de Bezons. « Si les volontaires vont les voir seuls, les gens croient que ce sont les représentants des services sociaux, ils ont peur et se referment. Moi, je leur raconte ce que j’ai vécu. Je m’en suis sortie, eux le peuvent aussi. Je les rencontre quatre ou cinq fois de suite, on obtient des résultats, c’est enthousiasmant. »

Se mobiliser davantage

Maurice fait partie lui aussi d’un groupe d’Université populaire, celui d’Ermont, qui se réunit le soir. Il est allé récemment en Belgique raconter son expérience. « La France est un pays riche. Il faut se mobiliser davantage, dit-il. Beaucoup de gens n’ont pas conscience de la misère qui existe dans notre pays. Bien sûr on n’en viendra pas à bout, mais ce qui est fait sera fait. »

ATD Quart Monde, ses volontaires permanents, ses alliés bénévoles, sont devenus la deuxième famille des Dubois, « et je sais ce que cela veut dire, insiste Évelyne. Je viens moi-même de la DASS. Enlevée à ma mère à trois mois, j’ai été placée à 18 mois dans une famille d’accueil. C’est elle ma vraie famille, celle qui m’a élevée, éduquée, entourée. J’y retourne, en Auvergne, chaque fois que je peux. La vraie famille, c’est celle qui est là quand vous êtes dans la difficulté, celle qui est solidaire. »

Texte et photos : Didier Williame