
Principes directeurs sur l’extrême pauvreté : pour que les politiques atteignent les pauvres
Le 27 septembre 2012, les principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme ont été adoptés par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. C’est l’un des aboutissements de la demande que, dès 1987, Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, avait faite aux Nations Unies en les invitant à créer des mécanismes qui protègent les droits des personnes vivant dans l’extrême pauvreté (1).
Magdalena Sepúlveda, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, invite les lecteurs de Feuille de route à découvrir et faire connaître ces principes directeurs.
Que contiennent ces principes directeurs ?
Ils sont le premier ensemble d’orientations politiques qui transpose les obligations des États dans le domaine des droits de l’homme aux personnes qui vivent dans la pauvreté. Basés sur les standards internationaux des droits de l’homme, ils serviront d’outil pratique aux décideurs pour s’assurer que les politiques publiques (dont celles qui s’efforcent d’éradiquer la pauvreté) atteignent les populations les plus pauvres en tenant compte des obstacles que ces dernières rencontrent dans l’accès aux droits.
Comment des personnes en situation de pauvreté ont-elles été associées à leur élaboration ?
À travers les efforts du Mouvement International ATD Quart Monde et d’autres ONG (Organisations Non Gouvernementales), elles ont été impliquées dans les consultations sur ce que ces principes devaient être. On peut citer les séminaires régionaux organisés par ATD Quart Monde à Bangkok (Thaïlande), Trappes, Genève, Lille et Pierrelaye (France), Kielce (Pologne), Dakar (Sénégal) et Cusco (Pérou)… ATD Quart Monde et d’autres ONG ont été consultés sur les avant-projets du texte. Je dois dire que, pour moi, les contributions formelles et informelles des personnes vivant dans la pauvreté ont été essentielles. J’ai tenu compte de leurs expériences et idées dans plusieurs domaines allant de la discrimination à la protection sociale, du logement aux moyens de subsistance.
Pourquoi avons-nous besoin de ces principes directeurs ?
Les personnes vivant dans l’extrême pauvreté sont souvent négligées par les responsables politiques, les fournisseurs de services et d’autres acteurs. La faiblesse de leur poids politique, de leur capital social et financier et leur situation d’exclusion sociale les maintiennent dans une couche presque invisible de la population.
Alors que les droits de l’homme s’appliquent à toutes les personnes sans distinction, des obstacles réels empêchent celles qui vivent dans l’extrême pauvreté d’y avoir accès – des obstacles liés à des discriminations, à des contraintes financières, aux structures sociales, etc. Il est donc nécessaire de clarifier les implications des obligations des États à l’égard des personnes vivant dans la pauvreté. De nombreuses violations des droits de l’homme touchent ces personnes davantage que d’autres groupes de population. La discrimination anti-pauvres est largement tolérée. Les États ont besoin d’être guidés pour mettre en œuvre leurs obligations de respecter et protéger les droits des personnes vivant dans l’extrême pauvreté.
Et cela de la même façon dans les pays développés et dans les pays en développement ?
Oui. Les principes directeurs sont nécessaires et utiles dans tous les pays. Les droits des pauvres ne sont vraiment protégés nulle part. Dans de nombreux pays, on caricature les pauvres comme étant des personnes paresseuses, irresponsables, indifférentes quant à la santé de leurs enfants et à leur éducation, malhonnêtes, qui ne méritent rien et sont même criminelles. Ces stéréotypes sont tellement ancrés qu’ils influencent parfois les décideurs et empêchent des responsables politiques de s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté.
Les principes directeurs s’attaquent à ces préjugés et à cette stigmatisation en informant les décideurs des vrais obstacles qui rendent les personnes incapables de se sortir de la pauvreté sans l’aide de politiques adaptées. Les objectifs de ces principes sont de garantir que les pauvres sont atteints par les politiques publiques et que leur voix sera écoutée et respectée par la société comme celle de toute autre personne. L’objectif final est de leur donner les moyens de se sortir de la pauvreté par eux-mêmes.
N’existe-t-il pas un écart entre le fait de garantir des droits et leur réalisation effective ?
Absolument. C’est pourquoi le travail de surveillance des États par la société civile et les défenseurs des droits de l’homme est essentiel. Ils doivent pousser les États à mettre en oeuvre cette réalisation effective.
Pensez-vous que les principes directeurs vont aider les Objectifs de Développement Durable après 2015 à permettre l’accès de tous aux droits de l’homme ?
Je l’espère vraiment. C’est notre défi commun. Nous devons travailler tous ensemble afin de garantir que l’agenda pour l’après-2015 (2) tienne compte de la voix des plus exclus de nos sociétés. C’est un enjeu majeur. De nombreux obstacles se dressent devant nous. Mais si nous le voulons vraiment, nous pouvons agir ensemble pour que cette aspiration se traduise en actes. Je suis convaincue que l’adoption de ces principes directeurs est une étape importante dans les efforts que la communauté internationale fait pour promouvoir les droits des personnes vivant dans la pauvreté. Ces principes peuvent jouer un rôle-clé pour les protéger et leur donner les moyens d’agir.
Propos recueillis par Jean-Christophe Sarrot