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Portrait de Alain Goussault

Alors que les chiffres du chômage se dégradent fortement, il faut une certaine énergie pour continuer d’entreprendre afin que chacun puisse accéder à un emploi. Alain Goussault continue à être « constructeur d’emploi ». Portrait du Président de l’Union régionale des entreprises d’insertion (UREI) de Haute-Normandie, qu’il représente au Conseil économique et social régional.

Lorsqu’il s’installe à Rouen en 1973, Alain Goussault est embauché comme animateur à l’Association Stéphanaise de Prévention Individuelle et Collective (ASPIC), basée à Saint-Étienne du Rouvray.

Le secteur de la prévention spécialisée auprès des jeunes en difficulté lui semble être un terrain propice pour faire germer des projets nouveaux destinés à contrer l’exclusion.

Mais bientôt, dans les années 1980, les jeunes adultes sans qualification professionnelle ne parviennent plus à trouver des travaux occasionnels aussi facilement que leurs aînés. « Ce n’était pas logique. On voyait bien que ces jeunes étaient capables.

On les voyait couper du bois derrière chez eux, récupérer du carton et de la ferraille pour les revendre. On s’est dit : « Puisqu’ils sont capables, on va entreprendre avec eux ». » C’est ainsi qu’avec d’autres, Alain Goussault invente les « Ateliers de production » qui rassemblent des jeunes privés de travail et des professionnels de différents métiers autour d’un projet collectif : l’emploi pour tous. Après leur passage dans ces ateliers, la plupart des jeunes retrouvent un emploi en entreprise.

Comment étendre cette expérience à d’autres publics que ceux de la prévention spécialisée ? En 1984, le gouvernement Mauroy décide de réhabiliter le parc des Habitations à Loyer Modéré (HLM).

Afin de permettre aux habitants de participer à ces travaux, Alain Goussault crée l’Abbei (Activités Bois et Bâtiment Entreprises d’Insertion), dont le projet social est « Faire société sans exclusion » et qu’il dirigera jusqu’en décembre 2008.

Le constat est là : les compétences s’améliorent ainsi que les relations sociales dans les quartiers. « On n’imaginait pas qu’un tel outil allait produire autant d’effets ».

L’Abbei, entreprise d’insertion, propose une nouvelle articulation entre le social, l’économique et le politique. Elle embauche des personnes qui, de rage de vivre en résignation, ont basculé dans le monde d’à côté.

Elle participe ainsi à révéler l’intérêt pour les maîtres d’ouvrages publics et privés de solliciter toutes les entreprises à contribuer au défi de l’emploi pour tous(1), comme le permet aujourd’hui le code des marchés publics.

« On considère l’insertion comme un dispositif, mais c’est d’abord un enjeu sociétal, explique Alain Goussault. Le mot “insertion” remonte à l’imprimerie. C’est l’acte de prendre un caractère et de le placer dans le texte pour que le texte prenne sens.

L’insertion professionnelle, c’est donner sens au texte de l’emploi pour tous. “Faire société sans exclusion” commence en interne de l’entreprise, entre les compagnons professionnels et les salariés en insertion qui n’ont pas la même culture du travail.

Le but est que ces deux cultures créent de l’innovation au sein de la communauté entreprenante. »

« La pédagogie de l’Abbei est de mettre des personnes “a priori inemployables” au sein de l’entreprise, avec  un contrat de travail de droit commun leur conférant les mêmes droits et devoirs que les professionnels.

Ce fondement conduit à construire tous les jours de nouvelles organisations de travail, de nouveaux contrats sociaux. Par exemple, quand l’Abbei a construit son accord de réduction de temps de travail à 35 heures, les professionnels disaient : “Cela va permettre, sur les temps libérés aux salariés en insertion de chercher un logement et du travail…”

Mêmes droits, mêmes devoirs : “Et vous professionnels, qu’allez vous faire pour l’insertion sur vos temps libérés” ? Il a été convenu qu’ils allaient se former 21 heures par an pour améliorer leurs compétences en  management, en lien avec leur responsabilité de compagnonnage.

Autre exemple : l’intéressement aux résultats de l’entreprise s’est établi en proportion du nombre d’heures travaillées, et non en fonction du salaire. »

« On dit souvent que les jeunes sont éloignés de l’emploi , or c’est l’emploi qui s’est éloigné des jeunes, conclut Alain Goussault. Comment, alors que nous traversons une crise importante, les acteurs économiques vont-ils, avec humilité, repenser leur façon d’entreprendre ? », s’interroge-t-il avant de rejoindre, ce 19 avril 2009, le grand débat du Forum pour un monde sans misère sur le thème : « Quels leviers pour sortir de la crise sans abandonner personne ? ».

Propos recueillis par Jean-Christophe Sarrot