
L’enterrement de Dédé (une histoire de discrimination)
Bonjour.
Je voudrais vous raconter une histoire qui vient de se passer.
Un ami très très proche, Dédé (que l’on voit dans la vidéo « Reprendre sa dignité et, ensemble, relever la tête » réalisée par Philippe Hamel en 2011) est décédé début avril d’un cancer. Sa souffrance a duré quatre mois.
Il a d’abord été hospitalisé à G., où j’ai pu aller le voir tous les jours. Quelques jours avant son décès, l’hôpital l’a transféré dans un autre hôpital, à P. en pleine montagne à une quarantaine de kilomètre de G., où il n’y a aucun transport en commun. Dominique, allié du Mouvement ATD Quart Monde à G., m’a proposé de monter à P. rendre visite à Dédé mercredi. Cela m’a fait très plaisir. C’est la dernière fois que je l’ai vu vivant. Nous avons ensuite eu quelques échanges au téléphone. J’ai entendu sa voix une dernière fois samedi soir.
J’ai été prévenu de son décès par Dominique le mardi matin suivant. Lui-même avait été prévenu par Arlette, l’amie de Dédé. Nous sommes montés à P. tous les trois. Je me sentais très mal. Un employé de l’hôpital très gentil a pris un rendez-vous chez les pompes funèbres à Y. Arlette les connaissait. Nous avons téléphoné à la mutuelle de Dédé pour savoir s’il y avait un capital décès qui serait versé. Arlette s’est aussi renseignée auprès de la sécurité sociale. Mais nous n’étions pas membres de sa famille et rien ne pouvait être versé pour prendre en charge l’enterrement.
J’ai demandé à l’employé de l’hôpital si je pouvais dire un au revoir à Dédé. Aucun souci pour cela.
Mercredi matin, nous nous sommes présentés tous trois aux pompes funèbres de Y. Nous avons été très mal reçus. Comme Dédé n’avait rien prévu pour cela et qu’il n’y avait pas d’argent, cela ne les intéressait pas du tout. Nous sommes ressortis sans rien signer, car le prix était environ 2 000 euros pour un enterrement ordinaire. Ils ne nous ont proposé ni d’échelonner le paiement, ni de trouver une autre solution, avec eux ou une autre entreprise.
Je suis sortie de ce rendez-vous retournée et écœurée.
Arlette nous a appris que Dédé avait des frères et sœurs. Je les ai contactés, mais ils ne voulaient ou ne pouvaient participer financièrement.
L’hôpital de P. ne pouvant plus garder le corps de Dédé, ils l’ont mis dans une housse et ont prévenu le CCAS (Centre communal d’action sociale) de G.
Dédé allait être enterré dans le carré des Indigents du cimetière, c’est-à-dire directement en terre, pas de caveau, juste le cercueil. Je ne voulais pas cela pour lui, surtout après tout ce qu’il avait fait pour moi. Mais il n’y avait que cette solution. Je souhaitais deux choses : qu’il y ait une petite cérémonie d’au revoir, et savoir quelle entreprise de pompes funèbres allait se charger de l’enterrement.
Bernard, un autre membre d’ATD Quart Monde, est venu nous soutenir pour ces derniers moments. Malheureusement, ce sont les pompes funèbres de Y. qui ont l’habitude de travailler avec le CCAS.
L’enterrement a été fixé à 10h30 vendredi matin.
Jeudi après-midi, nous nous sommes rendus aux pompes funèbres pour voir si le corps de Dédé était arrivé et choisir une plaque. On nous a demandé de repasser à 16h30. Nous sommes revenus à 16h30. J’ai souhaité me recueillir auprès du cercueil, mais ce n’était pas possible : le corps se trouvait dans le corbillard et ils ne prévoyaient pas de l’en sortir avant l’enterrement du lendemain. Le corbillard était garé sur un parking, loin du magasin de pompes funèbres qui n’a pas de garage. Dédé allait passer sa dernière nuit dehors, sur un parking où il pouvait arriver n’importe quoi.
Bernard nous a entraînés dans un autre magasin de pompes funèbres, où nous avons choisi une gerbe et les fleurs. Bouleversée par la tournure que les évènements avaient prise, j’ai demandé comment cela se passait quand une famille ou un ami voulait voir une dernière fois le cercueil avant l’enterrement. L’employée très sympathique m’a répondu qu’il y avait toujours une pièce prévue pour cela et que la famille pouvait prendre tout son temps. Je lui ai raconté alors notre mésaventure. Elle nous a appris qu’il était interdit de laisser ainsi un cercueil dans un corbillard, surtout garé loin du magasin. Le cercueil aurait dû être placé dans une chambre froide en attendant le lendemain matin.
Vendredi matin, j’étais au cimetière en avance. Le corbillard s’est présenté avant l’heure prévue. L’entreprise voulait commencer la cérémonie sans attendre. Nous leur avons demandé de patienter jusqu’à 10h30, car une sœur de Dédé et des membres d’ATD Quart Monde de G. n’étaient pas arrivés. Cela a bien embêté les employés. Ils nous ont un peu pressés, mais nous avons pris notre temps pour dire un dernier au revoir à notre ami. À 10h30, tout le monde était là et nous avons dit les textes que nous avions préparés la veille.
C’était début avril 2013.
Aujourd’hui, un mois plus tard, je suis toujours bouleversée par le départ de Dédé et très en colère contre cette entreprise de pompes funèbres (qui, en plus, avait oublié de nous remettre les papiers d’identité de Dédé le jour de l’enterrement). Tout être humain doit être traité et enterré dignement, pour lui et pour ceux qui restent derrière, famille et amis. Parce que la mort est difficile à supporter et que l’on est démuni de tout. C’est vraiment un combat qui est dur à vivre.
Voilà, maintenant, il faut que je vous dise qui était Dédé.
Dédé était une personne qui n’avait pas d’argent, mais un cœur sur la main. Il m’a ouvert sa porte quand ça n’allait pas du tout et quand ça allait. Il m’a hébergée quand je me suis retrouvée sans logement. Il a gardé ma chienne plusieurs fois sans rien me demander en échange. Il m’a donné l’envie de continuer à vivre quand tout était sombre pour moi. Nous partagions de très bons moments ensemble. Il m’a transmis la passion qu’il avait pour l’informatique et j’en gardé le virus. Il avait aussi des doigts de fée et une patience infinie pour fabriquer des maquettes de bateaux, de moulins et des puzzles. Il m’a aussi permis de retrouver ma famille en m’inscrivant sur Facebook. Il s’intéressait à tout ce que je faisais avec le Mouvement ATD Quart Monde et il regardait souvent son site Internet. Nous en discutions après. Il ne venait peut-être pas à nos réunions mais je dirais qu’il en faisait partie. Pour moi, il était plus qu’un frère, plus qu’un ami, plus qu’un père. Je ne sais pas s’il existe un mot plus fort pour dire vraiment ce qu’il était pour moi. Je pouvais compter sur lui à toute occasion et lui aussi pouvait compter sur moi.
Véréna Caffin, militante ATD Quart Monde
Rejoignez la mobilisation pour obtenir la reconnaissance dans la loi de la discrimination pour précarité sociale. Signez la pétition « Je ne veux plus ».