Entrez votre recherche ci-dessous :

Fabienne Donaint, rebelle de naissance

Fabienne Donaint n’a pas connu l’extrême misère. Mais les « galères », oui. À Arras, elle a fait sien le combat des plus exclus contre la précarité et la pauvreté.

Elle a le sourire aux lèvres et les yeux qui pétillent. « Le sens de l’humour est un moyen de survie, dit-elle. Il permet d’adoucir les relations. L’humour, c’est comprendre la situation de la personne qui est en face de soi, sans forcément entrer dans son jeu. L’humour permet de rebondir pour revenir à l’essentiel. »

Rebondir est un verbe qui convient bien au parcours de cette femme de 59 ans, mère de deux enfants et qui pratique la relaxation presque chaque jour.
Son parcours commence il y a une quarantaine d’années par des études d’éducatrice spécialisée. Lorsqu’elle est pré-stagiaire, Fabienne assiste à des choses qui la révoltent, comme, un jour, le placement de quatre sœurs dans trois lieux séparés par une grande distance. Elle refuse certaines pratiques des placements d’enfants à l’époque. Elle se présente à l’examen, mais n’obtient pas le diplôme. « Je ne supporterai jamais qu’un juge ou une personne qui a du pouvoir décide de la vie d’une autre uniquement à partir d’un dossier, explique-t-elle. Un dossier ne contient jamais toutes les informations qui sont nécessaires pour prendre une décision cohérente. À croire que le simple contact fait peur. »

Elle entreprend ensuite un CAP en menuiserie pour le bâtiment et devient la seconde femme à l’obtenir en France. Mais trouver un emploi dans ce secteur pour une femme est alors difficile. Fabienne change encore une fois de direction, s’installe dans les Pyrénées et passe un CAP cuisine, ce qui lui permet de travailler de nombreuses années dans l’hôtellerie et la restauration. Il y a dix ans, elle subit deux opérations des jambes qui l’immobilisent plusieurs mois et lui laissent des séquelles. Difficile ensuite de retrouver un travail stable. Elle enchaîne plusieurs emplois à domicile, dont certains chez des personnes âgées, dans le bassin minier. « Le plus important, précise-t-elle, c’est de tout faire pour préserver l’unité de la famille, qu’il s’agisse des rapports parents-enfants ou du lien avec les plus âgés de la famille. »

Sa route croise celle d’ATD Quart Monde il y a huit ans au salon du livre d’expression populaire d’Arras, mais elle ne s’y implique pas tout de suite.
Elle participe en 2011 à un séminaire d’ATD Quart Monde en Pologne. Une quarantaine de personnes de Suisse, Pologne, France et Luxembourg sont venues y puiser les unes dans les autres du courage pour faire face à la précarité et à l’exclusion. « J’ai découvert toute une dimension d’échange qui m’a impressionnée, explique Fabienne. Nous étions une grande diversité de personnes, nous rencontrions les mêmes difficultés, mais chacun avait des réponses et des interrogations différentes. »

Fabienne-Donaint-par-JC-Sarrot_400

Elle décide de créer un groupe local d’ATD Quart Monde à Arras afin de proposer à ceux qui le souhaitent de se former et d’agir contre la pauvreté, en lien avec l’Université populaire Quart Monde régionale du Nord-Pas-de-Calais.

Une des premières actions de ce groupe est d’organiser un atelier d’écriture avec le soutien du romancier Gilles Warembourg.

Celui-ci en reprendra des tranches de vie dans un bel ouvrage, Le Pactole.
En 2013, Fabienne rejoint un groupe de travail mis sur pieds par ATD Quart Monde en vue des élections européennes de mai 2014. Composé de personnes de différents milieux et de différents pays, ce groupe prépare des propositions qui seront adressées aux candidats. « Je suis assez réticente par rapport à la politique, reconnaît-elle. Mais on en fait de toute façon tous les jours sans le savoir et on peut le faire sans s’inscrire à un parti. Je vote à chaque élection. Je participe aussi à un comité d’usagers d’un CCAS (centre communal d’action sociale) depuis deux ans. Cela permet d’aborder la politique sociale de la ville. Nous sommes écoutés et parfois entendus en tant qu’usagers. Nous avons demandé que les démarches administratives soient simplifiées pour les familles d’Arras qui ont plusieurs enfants. Depuis cette année, elles disposent d’un numéro unique pour les différents dossiers à établir au sein de la communauté urbaine. »

Son engagement à ATD Quart Monde est une nouvelle page de son histoire personnelle qu’elle a commencé à écrire en sortant de la période de dépendance et de dépression qu’elle a traversée dans les années 1990. Elle a surmonté tout cela grâce à un accompagnement personnel et à la relaxation. « Dans la première partie de ma vie, j’avais une fâcheuse tendance à me retrouver dans des situations à risques, constate-t-elle. Maintenant, je suis revenue à une vie plus simple et plus concrète. Fini de faire trois pas en avant et trois pas en arrière ! C’est un travail quotidien. Il faut toujours surveiller nos fragilités. Ne pas sombrer dans le fatalisme face aux aléas de la vie est un devoir qui se cultive. » Fabienne conclut : « Donner et recevoir est essentiel pour moi. Le mouvement ATD Quart Monde m’y aide. J’y ai appris la simplicité dans la communication et l’humilité. J’aimerais bien rencontrer Joseph Wresinski (fondateur d’ATD Quart Monde en 1957) et lui dire : « T’as vu, les gens n’ont pas eu ma peau ! Aujourd’hui, j’ai trouvé un sens à ma vie et j’ai retrouvé ma dignité ! ». »

Jean-Christophe Sarrot

110822 Pologne seminaire Canon  2603 008 028 (22)_400
Les participants au séminaire d’août 2011 en Pologne. Fabienne est au milieu avec la robe noire (ph. ATD Quart Monde).