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Les visages d’ATD Quart Monde – Michel Aussedat : « Ce qui nous fait humain, c’est de pouvoir participer »

Volontaire permanent du Mouvement depuis l’âge de 26 ans, Michel Aussedat fait partie des grands voyageurs d’ATD Quart Monde : de la banlieue parisienne à Marseille, puis le Burkina Faso, le Bénin, la Côte d’Ivoire… Un choix de vie qu’il retrace ici.

«Je suis né dans une famille de la petite bourgeoisie d’Annecy. Nous étions huit enfants. Je savais que mon père était en lien avec des familles pauvres de notre quartier, mais le sujet était tabou à la maison. » Un jour pourtant – Michel est alors adolescent – son père lui demande de l’aider à déménager une famille dont la maison devait être démolie. « Nous l’avons fait de nuit, par discrétion. J’ai appris ensuite que mon père s’était battu pour que la première journée de la bourse aux vêtements qu’il organisait annuellement soit réservée aux plus démunis, afin qu’ils puissent avoir accès à des vêtements de qualité. J’ai aimé cette délicatesse. »

Trois idées

Après le bac, Michel intègre l’IDN (L’Institut du Nord), à Lille, une école d’ingénieurs devenue aujourd’hui École Centrale de Lille. Il découvre l’existence du mouvement ATD Quart Monde par un article du journal de l’École. « Sept lignes et trois idées, se souvient-il. Les trois idées : tout homme a une valeur en soi ; au-delà du monde ouvrier existe un sous-prolétariat invisible ; chacun est concerné par la lutte contre la  grande pauvreté. » L’article est signé d’un certain Pierre Saglio (volontaire permanent de 1976 à 1986 et président d’ATDQuart Monde France de 2002 à 2010), lui-même élève de dernière année de l’École ! Attiré par la découverte de cette population « invisible », Michel effectuera son stage de fin d’études en participant à une enquête sur l’évaluation de la résorption des bidonvilles.

« Qu’avez-vous appris ? »

En sortant de l’École, le jeune diplômé décide de rejoindre le Mouvement pour deux ans. « Pas trop sûr de moi, je n’avais aucune idée de ce que je pouvais apporter au Mouvement. J’étais surtout avide de connaître les motivations de l’engagement des autres. » À Pierrelaye, le centre ATD Quart Monde dans la banlieue parisienne, il rejoint une vingtaine d’autres jeunes dans la même situation. Trois mois de chantier, trois  mois d’alphabétisation auprès de jeunes de Sartrouville. « Le père Joseph Wresinski nous recevait chaque
semaine et nous posait toujours la même question : qu’avez-vous appris cette semaine ? »

Une grande cour

Après un séjour à Marseille auprès de familles dont les baraquements devaient être démolis, il reconfirme son engagement. Joseph Wresinski lui fait alors une proposition étonnante : devenir l’ami des enfants et des jeunes de la rue… au Burkina Faso. Michel rejoint donc deux volontaires à Ouagadougou, la capitale du  pays, et s’installe dans une petite maison entourée d’une grande cour ombragée.

« Le père Wresinski m’avait dit : “visite le pays, sens de l’intérieur ce que vivent les gens, apprends à connaître leur histoire. Surtout ne reste pas dans la cour !” J’ai donc parcouru la ville, puis la brousse. Avec les premiers amis Luc et Jean, nous avons écouté les enfants et les jeunes. Ils nous racontaient leur histoire avec une lucidité extraordinaire, avec minutie et fierté, et je prenais des notes. Leurs récits étaient une mine de connaissances. Petit à petit, des liens se sont tissés, la cour s’est remplie d’enfants et de  jeunes. » Michel va rester sept ans à Ouagadougou, menant de nombreuses actions d’éducation,  d’insertion, de promotion par le travail avec les jeunes. Il est intarissable sur cette période. « C’est vrai, le Burkina Faso est devenu ma deuxième terre natale. »

Rendez-vous dimanche matin

En 1989, par exemple, lors du Fespaco (le Festival panafricain du cinéma), les enfants allaient une fois de plus être raflés par la police pour faire place nette pendant cette manifestation internationale. « Nous  avons proposé au Comité d’animation de débroussailler avec ces enfants le terre-plein de la Maison du Peuple où se déroulait une partie des festivités. » Il restait à gagner la confiance des enfants : allaient-ils  accepter de travailler sans contreparties ? Il s’est alors souvenu d’une colère du père Joseph, face à des  familles précaires à qui il proposait une collecte pour des pauvres en Hongrie : « Mais c’est nous les  pauvres ! », disaient les familles. « Il faut témoigner que nous pouvons être acteurs, nous aussi, pas
des assistés », avait-il répondu. Et le ton avait monté. « Ce souvenir m’a donné le courage d’affronter les enfants. Rassemblés dans la cour, nous avons débattu ensemble du projet. Après la discussion, nous leur avons donné rendez-vous pour le dimanche matin, très tôt. »

De ce matin-là, Michel garde l’image inoubliable de ces enfants surgis un à un, à l’aube, empoignant les râteaux pour ramasser les détritus. Ils sont plus de cent. « J’ai vraiment ressenti au fond de moi, dit  Michel, que ce qui nous fait humain, c’est de pouvoir participer. » Des histoires comme celle-ci, il peut en raconter des dizaines. Il les a rassemblées dans un beau livre : La cour aux 100 métiers (Éditions Quart Monde, 1996, épuisé).

Rentré en France en 1989, Michel rencontre Carine, une volontaire permanente qui va devenir sa femme. Ils ont aujourd’hui quatre enfants. Mais le périple africain n’est pas terminé puisqu’ils seront envoyés en mission au Bénin puis en Côte d’Ivoire, avant de rentrer dans le Val d’Oise, où Michel deviendra responsable de l’équipe.

Avoir une histoire

Michel Aussedat travaille aujourd’hui à Baillet-en-France, au « Centre international Joseph Wresinski »  qui regroupe toutes les archives du Mouvement : écrites, audiovisuelles, photographiques et artistiques. « Un trésor », dit-il. Il faut voir avec quelle minutie ces documents sont gardés, classés, archivés, avec toute une équipe. Michel s’est fixé comme objectif de classer les archives écrites accumulées depuis 1966 auprès des populations défavorisées du Val d’Oise. Retrouver les familles parfois parties dans l’errance, leur demander l’autorisation de retracer tel ou tel événement de leur vie, reconstruire leur histoire bâtie avec le Mouvement… Un travail de bénédictin qu’il mènera jusqu’au bout car, dit-il « les populations qui n’ont pas d’Histoire n’existent pas. »

Didier Williame