
Emploi et discrimination : et si, à l’embauche, on donnait sa chance à chacun
Article publié dans le journal Résistances 2013 (sept-oct. 2013)
Donner sa chance à chacun au moment de l’embauche, est-ce vraiment possible ?
Le 3 juillet 2013, lors d’une rencontre avec des syndicalistes, Alain Tutoy, militant d’ATD Quart Monde à Villeurbanne, expliquait : « Le 20 juin dernier, j’ai rencontré dans mon immeuble une jeune de vingt ans. Elle venait pour la énième fois de passer un entretien pour du travail. Elle en avait marre parce qu’elle avait l’impression qu’il fallait qu’elle se vende et elle ne voulait pas se vendre. Elle disait qu’elle n’était pas une marchandise. C’est vrai. Elle va à ces entretiens pour sa vie. Il faut arrêter de convoquer cinquante personnes quand il y a un poste à remplir. Il faut arrêter de leur faire raconter toute leur vie ou de leur faire passer des tests, même pour un travail de balayeur comme cela m’est arrivé une fois à la Part Dieu (quartier de Lyon). Pour moi, quand il y a un poste à prendre, il faut prendre la première personne qui se présente et lui donner quinze jours d’essai. Si, un jour, je me casse une jambe et que je dois embaucher quelqu’un pour faire mon ménage, c’est ce que je ferai. Si la personne n’a pas de beaux vêtements, ça sera pareil. Peut-être que si elle est comme ça, c’est parce qu’elle n’a pas de travail. Et elle vient justement pour ça, pour travailler. »
Donner sa chance à chacun au moment de l’embauche, est-ce vraiment possible ?
Certaines entreprises mettent en œuvre des procédures pour aller dans ce sens. Tremplin Bâtiment et Batira Entreprise, en région lyonnaise, ont élaboré des critères d’embauche simples et équitables. Les candidatures sont enregistrées selon leur ordre d’arrivée. Celles qui sont trop éloignées géographiquement sont écartées. Si aucun recrutement n’est prévu dans les trois mois, les candidats sont prévenus. Sinon, un entretien est proposé aux cinq à dix premiers qui répondent à trois critères seulement : pouvoir comprendre des consignes de travail ; avoir une santé minimum (le candidat répond à des questions : vous sentez-vous capable de … ?) ; être motivé pour le poste. Les candidats retenus passent ensuite un entretien avec le responsable d’exploitation, toujours selon l’ordre d’arrivée de leur candidature. Si le premier convient, il est choisi et les autres reçoivent une réponse négative pour ce recrutement (ils restent en liste d’attente s’ils le souhaitent pour un prochain poste).
Pour Catherine Jourlin du Groupe EOS (Groupe d’Entreprises à Objectifs Solidaires), cette procédure « évite les discriminations injustes liées à l’âge, à la présentation, à l’origine sociale, au niveau de formation ou d’expérience, etc. Les personnes y gagnent et l’entreprise aussi. Car, auparavant, nous recrutions parfois des personnes qui s’exprimaient bien, mais n’étaient pas réellement motivées. Maintenant, il n’y a plus de ruptures de contrat pendant les périodes d’essai ! Il y a sans doute moins d’incompréhensions avec les candidats. Nos équipes sont plus diversifiées et motivées. Je pense que ce genre de procédure pourrait être adaptée par d’autres entreprises, à tous niveaux de qualifications. »
Jean-Christophe Sarrot