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Colloque « La misère est violence, rompre le silence, chercher la paix » : un Davos du refus de la misère

Plus de 300 personnes de 31 pays se sont rassemblées entre le 24 et le 26 janvier 2012 pour clôturer trois années d’échanges et de recherches (voir Feuille de route de février 2012). « C’est la violence de l’indifférence et du mépris qui fait passer de la pauvreté à la grande pauvreté et à la misère », disait un participant. Voici quelques échos de ce colloque.« Quand on ne peut pas satisfaire aux besoins les plus élémentaires de la maison, cela crée de la division. Les enfants, surtout ceux d’aujourd’hui, ne donnent aucune valeur au père dans cette situation. Tous les problèmes qui existent dans la maison me rendent triste et cela génére de la violence, on ne se sent pas bien. » (Osnel Teleus, Haïti)

« Chez nous, la violence du conflit s’ajoute à la violence de la misère. Si quelqu’un n’a pas de travail, il va accepter de prendre l’arme des milices pour gagner sa vie. Si tout le monde avait un travail, il n’y aurait plus ce problème des rebelles. Le gouvernement fait des efforts, mais ils n’ont pas assez de moyens. » (Joachim Kobendé, République Centrafricaine)

« Je croise des enfants qui ne vont pas à l’école. Leurs parents ne leur ont pas laissé le pain pour le déjeuner. Pour nous, c’est la base que l’enfant aille à l’école. Quelle violence quand, à cause d’un bout de pain qu’on ne peut pas donner, les enfants ne pourront pas aller à l’école, et seront perdus ! » (Ricarl Pierrelouis, Île Maurice)

« Celui qui reste silencieux ne reçoit pas justice. On ne peut plus se taire et laisser parler ceux qui savent. » (Dona Valentina, Pérou)

« Se plaindre est considéré comme de la non-coopération ; protester comme une agression ; s’expliquer comme faire des excuses. » (Moraene Roberts, Grande-Bretagne)

« Nous sommes une partie de la solution et pas du problème »

Extraits de l’intervention de Diana Skelton (Délégation générale d’ATD Quart Monde)

« Les mots « violence et pauvreté » sont utilisés le plus souvent comme une accusation, pour faire reposer le poids des situations les plus dures dans le monde sur ceux qui ont le moins de pouvoir. […] Dans notre « Contrat d’engagements communs » en 20082, nous avons parlé du défi de croiser différents savoirs, et de considérer celui qui s’acquiert dans la résistance à la pauvreté au même rang que d’autres. Bien que nous et d’autres que nous expérimentent cette approche depuis plusieurs années3, elle reste en-dehors des pratiques habituelles des chercheurs. […] Il y a un regain d’intérêt pour le témoignage de personnes très démunies. Mais dans la plupart des cas, cet intérêt concerne le témoignage brut de la personne et non pas sa pensée ni son analyse.

Depuis le début de notre travail, nous nous sommes engagés à ce qu’aucun de nous ne place quelqu’un d’autre sous un microscope, n’analyse la vie de l’autre ou n’interprète ses paroles en disant : « Voici ce qu’il veut dire… » Au lieu de cela, nous avons tenté de nous interroger les uns les autres afin de permettre à chacun de nous d’approfondir son analyse de sa propre expérience. Nous avons beaucoup réfléchi au mot « nous. » Nous l’utilisons parfois trop rapidement. [Lorsque nous nous décidons à l’utiliser], c’est un « nous » qui s’efforce de construire une nouvelle connaissance collective. […] La connaissance collective devient une nouvelle ressource naturelle présente dans le monde, au fur et à mesure que des personnes construisent des projets communs en permettant à autant de contributeurs que possible de partager leurs savoirs par Internet. Il existe une sagesse dans les collectifs qui peut aller plus loin que ce que les membres du collectif peuvent concevoir individuellement […] Moraene Roberts, une participante à ce colloque venue de Grande-Bretagne, disait combien il était fatigant de devoir toujours lutter contre la violence, contre la pauvreté, contre la faim. Elle a dit : « Mais savoir que votre voix, votre savoir, vos émotions peuvent aussi servir à agir pour la paix, c’est recevoir un pouvoir que je n’avais jamais eu auparavant. […] Maintenant, je peux aller voir le gouvernement et les autres et leur dire que je leur apporte quelque chose qu’ils doivent savoir pour pouvoir traiter de façon humaine les personnes comme moi. Et afin que nous soyions une partie de la solution, et non plus une partie du problème. » |

« En tant que responsable politique, j’ai défini des stratégies pour lutter contre la pauvreté. Cela n’a jamais marché. Ce que je découvre dans ce colloque, c’est qu’une telle démarche doit se faire avec les personnes pauvres. Nous n’avons malheureusement qu’un seul modèle en tête pour résoudre la pauvreté : la croissance économique. » (Béatrice Epaye, République Centrafricaine)

À l’issue du colloque, Eugen Brand, Délégué général d’ATD Quart Monde, a déclaré : « Nous sommes fiers des Principes directeurs sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté et nous espérons qu’ils seront prochainement adoptés par les Nations Unies. Mais ils ne sont qu’une expression de la protection de la dignité humaine. Avec les droits de l’homme, on lutte contre la discrimination. Mais travailler à une culture de la paix permettrait la lutte contre le mépris, contre le rejet et l’abandon des personnes en situation de grande pauvreté. C’est pourquoi, au terme de la Décennie pour la culture de la paix, nous proposons aux Nations Unies un chantier de croisement des savoirs afin d’élaborer des « Principes directeurs pour une culture de la paix » enracinés dans le refus de la misère. »

Eugen Brand a également formulé deux autres propositions : que le Comité qui attribue le Prix Nobel de la Paix examine la façon dont il pourrait honorer le courage de tous ceux qui, au cœur de la misère, cherchent à construire la paix ; que soit inscrit dans les constitutions des pays le texte gravé sur le parvis du Trocadéro à Paris : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré ».

Voir les vidéos du colloque.

Page réalisée avec le soutien de Leslye Abarca, Typhaine Cornacchiari, Bruno Couder, Samira Oulebsir, Pascal Percq et Jo-Lind Roberts. Photos François Phliponeau.