
Avec qui apprendre ?
Isabelle Perrin, Déléguée générale du mouvement international ATD Quart Monde
Au sein des instances politiques comme dans la société civile, de plus en plus de voix affirment que les objectifs que se donnera la communauté internationale en 2015 (1) doivent ne laisser personne de côté. Cela marquerait-il la fin des politiques de réduction de la pauvreté qui visent à atteindre 20, 30 ou 50% des personnes en situation de grande pauvreté, abandonnant les autres à une réalité plus dure encore ? Ces politiques, profondément contraires aux droits de l’Homme, suscitent des projets inadaptés qui se retournent contre les plus pauvres et aggravent la misère.
Mais avec qui apprendre à ne laisser personne de côté ? Ce savoir-là nous manque. Nos écoles, nos universités, nos lieux d’apprentissage et de formation axés sur la compétition plus que sur la coopération ne nous l’ont pas enseigné.
Avec qui l’apprendre, si ce n’est avec Doña Maritza ? Avec d’autres, elle parcourt sa ville afin de visiter des familles enfermées dans la misère et le silence, comme elle l’était il y a dix ans. Elle sait qu’en créant la rencontre et la confiance, elles pourront elles aussi participer un jour et partager leur savoir.
Avec qui l’apprendre, si ce n’est avec Monsieur Parfait ? Au soir de longues journées d’un travail harassant, il gagne rarement le minimum nécessaire à sa famille. Pourtant, il lui arrive d’accueillir son voisin qui n’a rien. Il refuse que l’intelligence des enfants de son village soit gaspillée. Alors que les écoles sont fermées depuis plusieurs mois dans son pays, il encourage des jeunes à aller à leur rencontre avec des livres.
Avec qui l’apprendre, si ce n’est avec tous ces habitants des quartiers oubliés de nos villes, pour qui « ne laisser personne de côté » n’est pas un slogan, mais une recherche recommencée en permanence : tenir et vivre ensemble parce que les autres sont comme nous et que l’on ne peut accepter d’être traités comme si l’on n’était pas des êtres humains. Leur acharnement à ne pas abandonner plus pauvres qu’eux malgré les incompréhensions, les découragements et alors que la survie de leur famille mobilise tant de leur énergie, en fait des acteurs essentiels de la réalisation des droits de l’homme et de la construction de la paix.
Les rejoindre, solliciter leur expérience et leur connaissance pour aller ensemble à la recherche de ceux qui manquent encore, créerait le courage et l’intelligence nécessaires, comme le dit Joseph Wresinski (2), pour voir infiniment plus grand et être plus ambitieux que nous le sommes dans la construction de notre humanité commune.