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La jurisprudence Winterstein (décisions d’expulsion)

 

Image d’illustration : camp de gens du voyage dans le Val d’Oise

 

Fiche mise à jour en août 2018


Êtes-vous bien sûr de bénéficier de tous vos droits ? Un simulateur en ligne vous permet de vérifier le montant des diverses prestations auxquelles vous avez droit : Vos droits aux aides sociales

Attention. Ces fiches vous informent de vos droits, mais il ne vous suffit pas d'avoir raison : encore vous faut-il le prouver. 
Pour cela, nous vous recommandons de toujours garder des traces écrites de vos demandes et des réponses importantes qui vous sont données oralement par l'administration. En effet, des justificatifs pourront vous être nécessaires un jour. Faites ou refaites toujours vos demandes par lettre avec accusé de réception. Demandez toujours que les refus qui vous sont opposés soient justifiés. Gardez toujours une copie de vos lettres.
 
Faites-vous également accompagner par vos proches. 
N'hésitez pas à lire les "Principes et savoir-faire d’un Comité « Solidaires pour les Droits » (https://www.atd-quartmonde.fr/principesetsavoirfaire) et « Face aux situations d’urgence, on est plus convaincants à plusieurs » (https://www.atd-quartmonde.fr/face-aux-situations-durgence-est-plus-convaincants-plusieurs).

26 familles, issues pour la plupart d’entre elles de la communauté des gens du voyage, habitaient, depuis plusieurs années, en caravanes, bungalows ou cabanes, sur un terrain situé à Herblay, dans le Val d’Oise, au bois du Trou-Poulet.

Elles furent assignées en mai 2004 devant le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Pontoise pour occupation interdite des lieux. Celui-ci, suivi de la cour d’appel de Versailles, ordonnèrent leur expulsion avec départ immédiat sous peine de devoir payer 70 € par jour de retard, au motif de l’illégalité de l’occupation, le stationnement des caravanes étant interdit dans le bois classé en zone naturelle.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme, saisie par 25 des personnes expulsées, estima le 13 octobre 2013 que la France avait violé l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En effet, le juge français, en prononçant l’expulsion, n’avait pas procédé à un examen de la proportionnalité de la mesure par rapport à la situation des personnes concernées. En d’autres termes, il n’avait pas analysé si la mesure n’était pas trop sévère. Par ailleurs, les besoins des familles expulsées n’avaient pas suffisamment été pris en compte alors qu’ils demandaient leur relogement sur un terrain familial adapté au stationnement des caravanes.

Revenant sur la question de l’application de l’article 41 de la Convention1, la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’est prononcée le 28 avril 2016 sur le préjudice découlant de la violation de l’article 8 de la Convention.

Elle rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention, l’État a l’obligation non seulement de verser les sommes allouées, mais aussi de prendre des mesures individuelles et/ou, le cas échéant, générales dans son ordre juridique interne, afin de mettre un terme à la violation constatée et d’en effacer les conséquences.

– Au titre du préjudice matériel, elle a accordé des indemnités allant de 600€ à 3 000€ pour la destruction des biens abandonnés sur place suite au départ précipité imposé par la décision d’expulsion immédiate.

– Au titre du préjudice moral, une distinction est faite entre les requérants qui se sont maintenus au Trou-Poulet, ceux qui ont été relogés dans des logements sociaux et ceux qui n’ont pas d’hébergement fixe.

Le premier groupe obtient une indemnité de 7 500 €, le second une indemnité de 15 000 € et le troisième une indemnité de 20 000 €. Ces montants sont analogues à ceux accordés habituellement au titre du préjudice moral par la Cour.

Ressort de cette affaire l’importance du contrôle de proportionnalité à effectuer entre les intérêts en présence. Il est en effet indispensable pour un État, qui s’apprête à prononcer une expulsion, de mettre cette mesure en balance avec le droit à la protection du domicile, qui découle de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme relatif au droit au respect de la vie privée et familiale du domicile.

CEDH, 17 octobre 2013, Winterstein contre France : « La Cour rappelle que la perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile et que toute personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir en faire examiner la proportionnalité par un tribunal ; en particulier, lorsque des arguments pertinents concernant la proportionnalité de l’ingérence ont été soulevés, les juridictions nationales doivent les examiner en détail et y répondre par une motivation adéquate […].

Dans la présente affaire, les juridictions internes ont ordonné l’expulsion des requérants sans avoir analysé la proportionnalité de cette mesure […] : une fois constatée la non-conformité de leur présence au plan d’occupation des sols, elles ont accordé à cet aspect une importance prépondérante, sans le mettre en balance d’aucune façon avec les arguments invoqués par les requérants […]. Or, comme la Cour l’a souligné dans l’affaire Yordanova et autres, cette approche est en soi problématique et ne respecte pas le principe de proportionnalité : en effet, l’expulsion des requérants ne peut être considérée comme ’nécessaire dans une société démocratique’ que si elle répond à un ’besoin social impérieux’ qu’il appartenait en premier lieu aux juridictions nationales d’apprécier. »

Pour en savoir plus sur le contrôle de proportionnalité : Le principe de proportionnalité, protecteur des libertés

Depuis la décision de 2013, plusieurs décisions de justice, notamment en 2014 et 2015, ont mis en balance le droit de propriété des demandeurs avec le droit au respect de la vie privée et familiale et y ont regardé à deux fois avant d’expulser.

Les occupants sans titre ne sont plus nécessairement considérés comme sans droit, et les juges, dans certaines circonstances, ont refusé l’expulsion ou leur ont accordé des délais.

En effet, la Cour de Cassation, par un arrêt du 17 décembre 2015, a cassé un arrêt d’appel au double visa de l’article 8 de la Convention et de l’article 809 du Code de procédure civile, car celui-ci n’avait pas recherché, comme il le lui était demandé, si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile.

Bien évidemment, il n’est pas dit d’avance que le contrôle de proportionnalité aboutira à un refus d’expulsion, et pourront être privilégiés les arguments du propriétaire, qui invoquera son droit de propriété.

Le juge français a ainsi pu prononcer des expulsions, mais en accordant aux familles des délais soit de six mois, soit de trois ans. La mise en balance oblige à tenir compte de la situation sociale des occupants, fusse en leur accordant des délais.

Dans cette affaire, la France a également été condamnée pour ne pas avoir porté une attention suffisante aux besoins des familles qui avaient demandé un relogement sur des terrains familiaux.

Désormais, une demande d’expulsion pourra être rejetée notamment car aucune solution alternative n’aura été proposée aux personnes concernées, comme dans une ordonnance du Tribunal de Grande Instance d’Évry du 5 mai 2015. Le même juge fera peser dans la balance en faveur du maintien dans les lieux les démarches d’insertion entreprises par les occupants ou la scolarisation des enfants.

– Pour en savoir plus sur cette jurisprudence : Analyse faite par Dominique Schaffhauser, juriste et allié d’ATD Quart Monde

Ou sur la jurisprudence sur les droits des habitants des bidonvilles et squats menacés d’expulsion : http://www.gisti.org/spip.php?article4826

– Pour lire l’arrêt du 17 octobre 2013 : http://www.gisti.org/IMG/pdf/jur_cedh_2013-10-13_winterstein.pdf

– Pour lire l’arrêt du 28 avril 2016 : https://www.rencontrestsiganes.asso.fr/wp-content/uploads/CEDH-Arre%CC%82t-du-28042016-Aff.-Winterstein-et-autres-c.-France.pdf


1Satisfaction équitable : Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable.

 

Fait par Alice Mikowski, Mathilde Brouzes et Laure de Galbert