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Laurent Sochard : former à la démocratie participative, une formation pas comme les autres…

Cet article a été rédigé par Laurent Sochard à l’occasion du dossier « Démocratie participative » du mensuel Feuille de route n°382 de mars 2009. Laurent SOCHARD est responsable formation au CNFPT, et organise depuis 8 ans des formations sur le thème de la démocratie participative à l’ENACT d’Angers : École Nationale des Cadres Territoriaux, qui est une structure du Centre National de la Fonction Publique Territoriale. Le CNFPT forme les fonctionnaires des mairies, des conseils généraux et des conseils régionaux, mais aussi des intercommunalités.

1 Un parti pris critique dans mes formations

J’organise depuis 8 ans des formations pour les fonctionnaires chargés de mission démocratie participative dans les mairies, et les intercommunalités, mais aussi les conseils généraux et les conseils régionaux.

Ces formations sont pour moi un formidable lieu d’observation des réalités participatives à partir de ce que vivent et racontent les chefs de projet.

J’organise aussi des stages faisant intervenir des citoyens, notamment en situation d’exclusion, qui viennent débattre avec les fonctionnaires des conditions pour un dialogue et une participation réels. Notamment lors du stage Quart-Monde Partenaires dont j’ai parlé dans le journal Feuille de Route en décembre 2008.

Même si le développement des pratiques de démocratie participative est une occasion à saisir, je suis convaincu qu’il faut garder une vigilance critique sur les usages et les mésusages de la notion, et sur son instrumentalisation possible. C’est le seul moyen de construire un peu de lucidité. En effet, la présence d’un discours sur la démocratie participative dans les campagnes électorales locales ou nationales n’assure pas d’une réalité effective, qui changerait les rapports politiques et les rapports sociaux d’un coup de baguette magique.
D’autant que la démocratie participative en France est portée quasi-exclusivement par les élus de la démocratie représentative, qui n’ont pas tous envie de redistribuer le pouvoir. Il n’y a qu’à lire les réactions de nombre d’entre eux quand Ségolène Royal en a fait son cheval de bataille lors de la dernière campagne électorale : le sociologue Yves Sintomer les reprend dans l’introduction de son petit livre paru récemment, Le Pouvoir au Peuple : on y voit qu’une partie de la classe politique se méfie de donner trop de pouvoir au peuple. Car, au fond, la démocratie participative pose la question de l’équilibre entre Pouvoirs Publics, et pouvoir du public…

Ce préambule est nécessaire pour comprendre qu’une formation à la démocratie participative ne peut se contenter d’une approche technique et méthodologique, même si ces dimensions sont nécessaires. Les fonctionnaires, pour dynamiser un projet participatif, ne peuvent pas se contenter « d’administrer ». Développer un projet participatif, c’est s’engager et s’obliger face à la population. Cela nécessite une vraie réflexion.

Dans ma formation chacun se pose la question de sa propre conception de la démocratie participative, mais aussi de la démocratie tout court, des rapports sociaux, et du pouvoir.

La vie d’un chargé de mission n’est pas un long fleuve tranquille. Par exemple on leur demande de mobiliser les citoyens, mais on les réprimande si des groupes s’organisent et commencent à protester contre le pouvoir en place, ou simplement à demander des précisons au pouvoir municipal quant aux décisions prises. On leur dit de favoriser l’autonomie des groupes sociaux, mais on n’aime pas bien que ceux-ci deviennent une force de revendication… On leur dit d’associer les gens à la rénovation du quartier, mais les collègues des autres services, technique, voirie, urbanisme, ne l’entendent pas de cette oreille, et voient tout ceci comme une perte de temps puisque les experts ce sont eux !

C’est pourquoi dans le stage on travaille d’abord à une expression des difficultés, par le théâtre forum. C’est une technique qui permet de partir de son quotidien de travail, d’exprimer les difficultés ressenties, pour en comprendre les mécanismes, et les pièges à l’œuvre. Ce travail en théâtre forum les deux premiers jours a toujours une petite tendance dépressive puisque les chargés de mission mettent d’abord en scène leur impossibilité de faire avancer les choses, et le sentiment qu’ils ont d’être pris dans des demandes contradictoires.

2 La démocratie participative : un mot-valise dont on use et abuse

Les collectivités territoriales intègrent de plus en plus la nécessité de la participation. Mais beaucoup pensent que la volonté participative suffit. J’ai rencontré des élus ou des dirigeants qui pensent qu’écouter suffit, et que les décisions sont affaire d’experts : ils transforment leur permanence en bureau des doléances et pensent avoir fait l’essentiel, sans réellement entendre la demande sociale. De même, nombre de collectivités « consultent » les habitants tout en menant leur projet en parallèle, sans intégrer les éléments nouveaux que la population a fait remonter. Et puis on a une fâcheuse tendance à tout baptiser en participatif : on confond la participation avec la proximité, ou avec la concertation. Quand un élu vient dans un quartier expliquer et discuter des choix de la municipalité, c’est bien, mais on est toujours dans la démocratie représentative, et après tout pourquoi pas. Mais ce n’est pas parce qu’on quitte le centre ville pour se rendre plus près des gens qu’on est participatif. Avant il fallait aller manger des pizzas dans les restaurants, maintenant elles peuvent être livrées à domicile en scooter : ce sont des pizzas de proximité, mais il ne viendrait à l’idée de personne de les trouver plus participatives !!

3 Des pratiques participatives qui renforcent parfois l’exclusion. Ce n’est pas parce qu’on a du mal à exprimer ce qu’on pense… qu’on ne pense pas !

Un des problèmes majeurs de la démocratie participative consiste en une surreprésentation des « déjà représentés », j’entends par là des personnes qui votent, qui trouvent déjà satisfaction dans l’offre politique de représentation. Ces personnes sont plus souvent issues des classes moyennes et supérieures. Ce qui était visé : faire participer le plus grand nombre, peut alors se retourner en son contraire : on accentue la prise de parole des ceux qui la prennent déjà (personnes impliquées dans des associations, dans les corps intermédiaires, dans les syndicats…), et on redouble la non-parole de ceux qui ne l’ont pas.

Les conseils consultatifs de quartier (CCQ) sont assez typiques de ce biais : dans ces instances de discussion, les codes sociaux, les prises de parole reposent sur des compétences ou des habitudes que tout le monde n’a pas: certains sont à l’aise au micro dans une réunion publique, savent argumenter, conceptualiser, mais pour d’autres c’est beaucoup plus difficile ! Et ce n’est pas pour autant qu’on n’a rien à dire. Et ces lieux peuvent alors devenir des lieux de violence symbolique. On peut facilement lorsqu’on est compétent sur ce plan, et habile parleur, disqualifier quelqu’un (pour illustrer ceci ci-dessous l’encadré « vu à la télé un 14 novembre 2005 »). Beaucoup de personnes qui s’étaient montrées intéressées par ces lieux participatifs ne se sentent pas à leur place, ne reviennent plus, et effet pervers, cela accentue le discours facile tenu par certains fonctionnaires et certains élus sur l’absence d’engagement des habitants !…

Certains sociologues parlent de « réunion publiques anti-public » pour désigner ces endroits où l’enfer de la manipulation est pavé des bonnes intentions participatives.

C’est pourquoi il faut dans nos formations développer une vraie compétence pour travailler avec toutes les personnes, notamment celles qui sont le plus éloignées de la parole publique: la considération est essentielle, les instances de démocratie participative ne doivent pas être des lieux de reproduction d’une injustice sociale, des lieux où des personnes sont discréditées, bafouées… quand ce n’est pas ridiculisées. C’est un facteur permanent de cassure entre les pouvoirs publics et les populations pauvres. Il y a ici une question de compétence mais bien sûr également une dimension plus profonde qui interroge fondamentalement nos conceptions de l’homme et des rapports sociaux. La formation doit ouvrir cet espace de réflexion.

Il faut animer les instances de démocratie participative avec des méthodes qui permettent une expression de tous, une co-construction par tous, et accessibles à tous. Dire « Vous êtes libres de parler, on vous écoute, vous avez la parole prenez la » ne suffit pas. Gandhi le disait bien « avant la parole, il faut créer les conditions de la parole ».

4 Des habitants-problèmes aux habitants-solutions

On pose trop souvent la question de la démocratie participative avec l’hypothèse que ce sont les gens qui font problème : « ils ne viennent pas aux réunions ! », « ils se désintéressent de la chose publique », « ils ne savent pas penser l’intérêt général », « ils ne savent pas s’exprimer »…). C’est notre devoir de fonctionnaire et notre responsabilité d’aller un peu plus loin que ce bout de nez pas bien malin .Car ces représentations ne résistent ni à l’analyse, ni à la pratique. La formation que j’organise permet assez vite de dépasser cette vision fausse, et on passe de la focalisation sur l’habitant comme problème, à l’identification de l’administration comme souci, car quand on creuse un peu, c’est souvent en interne que sont les éléments les plus bloquants. En effet, les obstacles sont souvent liées à des questions de rapports entre services ou entre directions, de rapport de pouvoir et de territoire entre élus, ou tiennent à l’inertie de l’administration, qui a du mal à évoluer, à s’adapter, à changer ses pratiques, etc… Face à cela on interroge le rôle, et la place des directions, du management : la démocratie participative finalement pose des questions de management interne.

Il faut passer des habitants problèmes aux habitants-solutions comme dit Suzanne Rosenberg, qui développe un mode d’intervention appelée la qualification mutuelle, co-formation mettant en scène des agents et des usagers du service public pour résoudre des problèmes. Faire de la participation, implique finalement de ne pas simplement viser les citoyens qui seraient en supposé déficit (et les « amener à participer » comme cela se pose trop fréquemment), mais c’est bien comprendre ce que cela implique comme changement des rapports sociaux.
Changements qui se déclinent sous plusieurs angles: rapports usager-institution certes, mais aussi rapport élus-fonctionnaires, rapports élus-usagers (on stigmatise plus facilement le consumérisme montant que le clientélisme ambiant…), et le rapport du fonctionnaire à son propre travail…

Les chargés de mission de la participation citoyenne ont donc à articuler des contradictions, à aider à les dépasser pour proposer, impulser des dynamiques. Plus que jamais, ils ont besoin pour porter les choses, d’un minimum de lucidité. C’est pourquoi nous travaillons sous cette forme impliquante qu’est le théâtre forum afin d’identifier et si possible dépasser ces contradictions.

5 Alors, quelles compétences ?

Je vais ici seulement en évoquer quelques-unes. Il faut évidemment se former à la méthodologie de projet… mais si on n’interroge pas le sens (politique, philosophique) de son action, cela deviendra vite technocratique ou stérile. Il faut de solides compétences en animation de groupes, de connaissance de la dynamique de groupe ; et notamment pour gérer des grands collectifs. Mais le parti-pris du stage est de travailler sur le vécu et les situations réelles, pour dégager des pistes d’action concrètes, donc ces éléments méthodologiques sont toujours articulés avec les réalités des personnes présentes. On ne dit pas comment il faut faire en général, mais comment untel ou unetelle pourrait faire dans sa situation.

Je crois, mais nous n’en avons pas toujours le temps, qu’un peu de connaissance de l’histoire sociale et politique ne serait pas un luxe: il est utile de réfléchir à la question de la place des luttes populaires dans les avancées démocratiques, comme par exemple l’histoire de la Commune (celle de 1848, et de 1870). Mais aussi pour interroger le rapport ambigu qu’entretient le pouvoir politique à l’égard des populations : entre représentation du peuple et confiscation du pouvoir… Je renvoie là encore à Yves Sintomer qui dans l’introduction de son ouvrage « Le pouvoir au peuple » analyse l’usure de la Vème République et parle d’autisme des représentants du peuple.

6 Suffit-il de former les agents chargés de la participation si les administrations ne changent pas ?

Au delà de la compétence individuelle, la notion de compétence collective est essentielle. Cela réfère au contexte de travail, aux conditions d’émergence et de mise en œuvre des compétences des uns et des autres. En effet, le meilleur menuisier qui n’aurait dans la main que des outils élimés et du bois vermoulu ne ferait pas grand-chose, tout compétent qu’il est. D’où le travail sur la responsabilité managériale, la responsabilité politique. Faire de la démocratie participative repose la question démocratique au sein même du collectif de travail. Comment emmener des équipes entières, des services entiers vers des pratiques plus démocratiques et participatives si ces mêmes personnes ont le sentiment que les chefs qui leur demandent de mettre en œuvre des pratiques plus participatives, ne les associent jamais aux prise de décision, ne les écoutent jamais au sein même de leur travail ? Face au public, comment pourront-ils être porteurs de cette façon de faire s’ils ne la vivent pas dans leur quotidien ?

7 Au-delà des compétences…

On le voit, les agents qui mettent en œuvre la démocratie participative doivent travailler leur positionnement, et savoir construire des garde-fous, pour aider les élus dans leur recherche de participation.
On peut citer l’exemple intéressant de la charte du 3ème pilier, initiée en région nantaise, par des agents territoriaux pour échanger sur leurs pratiques et leurs méthodes, se former entre eux, et travailler leur culture politique. Ces fonctionnaires considèrent qu’ils ont une responsabilité citoyenne à faire que la démocratie soit vivante et réelle. 3ème pilier car ils estiment qu’ils sont une passerelle possible entre les deux autres piliers de la démocratie que sont les élus et les citoyens. C’est en construisant des repères communs qu’on est plus fort, plus armés pour argumenter, pour aider à la décision des élus, leur suggérer des pistes voire pour résister à certaines dérives.

Ainsi tout ne repose pas que sur les compétences, mais aussi sur des qualités humaines, des convictions, et des conceptions. Est-ce une compétence que de savoir accepter l’inconnu dans des projets avec les habitants, et se lancer dans l’aventure de la délibération démocratique sans en savoir les résultats à l’avance ? Non ce n’est pas une compétence et pourtant c’est une condition de la réussite. Un des problèmes majeurs de la démocratie représentative est que certains estiment savoir ce qui est bon pour tous et le mettent en œuvre sans chercher tous ensemble. Les fonctionnaires doivent pouvoir expliquer aux élus que ne pas savoir où l’on va, n’est pas un manque, mais bien une condition de la sincérité de la démarche. Cela ne veut pas dire faire n’importe quoi.

De même la capacité d’indignation n’est pas une compétence, mais constitue selon moi un moteur indispensable pour faire face aux situations professionnelles que l’on vit.

8 Pas de démocratie participative sans justice sociale

Je partage l’analyse -et la conviction- de chercheurs comme Loïc Blondiaux, Yves Sintomer, ou Marion Carrel : la démocratie participative n’a de sens que si elle s’inscrit dans une finalité plus large visant le rétablissement d’une justice sociale. Sinon on court le risque du « on prend les mêmes et on recommence », certes en faisant évoluer un peu les méthodes, mais au fond rien ne change. On est plus proche du citoyen, on a plus d’instances de toute sorte, mais les exclus en sont toujours exclus, et les décisions ne sont pas plus partagées. On continue à se priver de l’apport de populations qui ont pourtant beaucoup à dire pou peu qu’on crée les conditions du dialogue.

9 Attention au risque de dérive technocratique du système… Seule la dimension éthique fera la différence

Avant de conclure, je voudrais mentionner le risque de l’institutionnalisation des services de démocratie participative dans les collectivités locales. Cela est évidemment intéressant que l’on crée des services entiers dédiés à cette question, et que l’on recrute des agents qui seront sur cette mission à temps plein. J’assiste depuis plusieurs années à la création de ces services, directions, et délégations. Mais ce peut être le meilleur comme le pire. Le risque ici est encore la perte de sens : tout ceci crée en interne des zones de pouvoir, de concurrence, de convoitise…. De plus ces services sont à enjeu politique fort, regardés de près par les élus et les directions générales, donc cela devient aussi de beaux postes dans une carrière… Finalement on peut chercher à rejoindre ces services parce qu’ils sont proches du pouvoir, et qu’ils sont stratégiques, ce qui peut s’intégrer dans un plan de carrière…

Seule la dimension éthique fera la différence, et là il n’existe pas de formation !

En montrant ce risque je ne veux pas dire que tout est ainsi, mais alerter sur le fait que l’abondance d’une préoccupation dite de démocratie participative n’a jamais garanti l’émergence de celle-ci. La démocratie participative doit permettre de renouveler des pratiques politiques, institutionnelles et administratives qui étaient verticales, cloisonnées, éloignées des populations… Mais elle court le risque d’être pris dans les filets de ce qu’elle veut changer. Pour parler de façon imagée : ce qui devait être le remède peut, avant d’avoir fait son effet, être atteint par le mal qu’il devait soigner…
On n’administre pas la démocratie participative…

10 Conclusion : la participation remplace-t-elle la lutte ? Et permet-elle un partage du pouvoir ?

« Participation, piège à cons », lançaient les militants des années 60 et 70. Je ne reprendrai pas ce slogan car je pense que la participation est une aventure qui vaut le risque d’être vécue. Mais je garde cette formule dans un coin de ma tête comme une vigilance à avoir.
En fait je crois qu’il faut avoir une position modeste en France : si les pratiques de démocratie participative permettent de redonner de la légitimité à la démocratie représentative, on aura déjà fait beaucoup de chemin.

Comme on me dit souvent que je vois trop en noir, je termine sur une note encourageante : aujourd’hui de nombreux élus locaux développent une vraie réflexion sincère sur la question de la participation des plus exclus, et ont conscience qu’il s’agit là d’un problème majeur. Les fonctionnaires ont un rôle essentiel pour les épauler dans leurs analyses, et dans leur travail sur ce point. Et la recherche universitaire se structure sur ce sujet de la participation des plus exclus.

Au fond, la démocratie participative doit rester une question plus qu’une solution, c’est un projet, une visée, plus qu’un résultat. Comme la démocratie somme toute qui est une valeur à construire et jamais une réalité atteinte.

Il faut être très vigilant à ce que la démocratie participative « institutionnalisée » ne disqualifie le conflit social, la lutte et le rapport de force, qui ont toujours été des facteurs de progrès social. Je me souviens de cette responsable de la démocratie participative dans une commune, qui ne supportait pas que les habitants ne soient pas venus dans son instance : dès lors ils n’avaient plus rien à dire, ni à se plaindre. Et elle ne supportait pas qu’ils aient créé une association autonome pour défendre leur point de vue sur l’aménagement de leur quartier, alors qu’ils ne venaient même pas au conseil de quartier !! On voit l’effet pervers d’une participation trop encadrée, trop institutionnelle, qui à trop vouloir viser le consensus, ne reconnaît plus le conflit comme moteur. Et en veut aux citoyens de n’être pas comme on voudrait qu’ils soient !

Car en France il n’existe aucune véritable commande politique de démocratie participative qui viserait l’empowerment des populations. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est une institution très respectable : l’Inspection générale des Affaires Sociales (IGAS) dans son rapport annuel publié en mars 2006. L’empowerment, ça veut dire la capacité des groupes sociaux à développer leur autonomie, à reprendre le contrôle de leur avenir, et à conquérir du pouvoir social. Là encore, les élus veulent souvent garder le contrôle et se refusent à partager la décision. Ils sont méfiants à l’égard des pratiques participatives ascendantes, c’est-à-dire celle qui viennent de la société civile et remontent vers les décideurs, et ils ne reconnaissent quasiment que les pratiques de participation descendantes : celles qu’ils ont instituées, sur les sujets qu’ils ont décidé, avec un agenda qu’ils maîtrisent, et des instances qu’ils contrôlent ! Et quand on est descendant, on est souvent condescendent.

Citons l’exemple du collectif AC le Feu, qui essaie de proposer des solutions aux problèmes de violence dans les zones de relégation sociale. Ce collectif a lancé un appel qui a quasiment été ignoré par les candidats à la présidentielle de 2007, qui ne sont pas entrés en dialogue ni n’ont relayé cette mobilisation citoyenne responsable…

Se défier de la participation institutionnelle, c’est par exemple, la position des organisateurs du forum social des quartiers populaires, organisés depuis 2 ans à Nanterre (http://fsqp.fr).

Sur le site www.789radiosociale.org, on peut écouter l’intéressante interview d’un des organisateurs de ce forum. Pour lui les revendications des habitants n’aboutissent pas, et les quartiers sont l’objet de coups médiatiques, sans plus. Le but est alors, pour les organisateurs du forum de « tisser un réseau, créer une force politique pour avoir un rapport de force. (…) Ce qu’on a appris au cours des décennies, des luttes, ça passe par l’autonomie. Il n’est pas question de rentrer dans un parti institutionnel, pour essayer de faire peser, pour que nos revendications… non ça… pendant des décennies, certains l’ont fait, on a vu ce que c’est : catastrophe sur catastrophe : manipulation, neutralisation, répression. C’est par nous et personne d’autres! Si c’est pas nous, y a personne d’autre qui le fera pour nous. »
Une réflexion qui en dit long sur la défiance à l’égard de l’instance politique… mais qui témoigne aussi d’une certaine lucidité. Réhabiliter la lutte en ces temps où elle est ringardisée. On fait le lien ici avec ces instances « participatives » où ne viennent pas un certain nombre de groupes sociaux qui sont pourtant concernés. Plutôt que de leur jeter la pierre de façon con…descendante comme le font souvent des élus locaux ou des agents municipaux en mal de participants à leurs débats, on pourrait tout aussi bien s’interroger sur l’institutionnalisation d’une participation très contrôlée, très réglée et instrumentalisée. L’histoire montre que de grandes figures politiques sont celles qui ont dit « Non ! » : De Gaulle, Antigone, Lech Walesa ou… le Père Joseph Wresinski… Le forum social des quartiers populaires, est une mobilisation citoyenne et autonome, un engagement politique, et une forme de participation non institutionnelle qui nous rappelle que la citoyenneté s’érige souvent et d’abord dans le refus, l’indignation, et…. la lutte.

Laurent SOCHARD, mars 2008 laurent.sochard@cnfpt.fr

Vu à la télé un 14 novembre 2005

On se souvient des émeutes urbaines en France, en novembre 2005. L’émission de France 2 « A vous de juger », organise une émission sur ce thème. Beaucoup d’invités politiques représentant toutes les tendances, notamment des élus de banlieue, et surotut Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur. Le débat politique était absent du propos, puisque tous les hommes politiques présents, quel que soit leur bord, n’ont pas pu ou su ou voulu donner la réplique au ministre de l’intérieur, tétanisés sans doute par l’idéologie sécuritaire ambiante, qui assimile « acte intolérable » à « acte incompréhensible ». Alors qu’on peut tout à fait comprendre les racines d’un comportement sans pour autant vouloir l’excuser…

Emission morne donc. Une étincelle à un moment : une jeune femme de 28 ans, qui a grandi dans un quartier « sensible », demande pourquoi durant toute son adolescence, elle n’a jamais été contrôlée (elle est blonde aux yeux bleus), alors que ses copines maghrébines ont maintes fois sorti leur carte d’identité et plusieurs fois par jour. Un presque débat s’instaure avec le ministre, et un autre jeune homme confirme les propos de la jeune femme, alors qu’il n’avait pas la parole, car il veut insister sur cet aspect, et il veut que le ministre réponde. Ça commence (à peine) à s’agiter, mais de façon très raisonnable.

C’est alors qu’Arlette Chabot, l’animatrice de l’émission, lance à plusieurs reprises « soyez gentil ». Lui était-il impossible, si elle voulait calmer le ton, de reformuler la question et de parler de ces discriminations? Le ministre de l’intérieur, actuel président de la République, lui a donné le coup de grâce : une fois que « le jeune » s’est tu, il lui a asséné quelques propos moraux, supposant que s’il parlait comme ça sur un plateau télé, il n’osait imaginer ce qu’il se passait chez lui. Frapper un homme à terre, quand on a la complicité du présentateur, le silence des supposés co-débattants, l’habitude de passer à la télé, des conseillers de communication comme s’il en pleuvait, quel courage!

Et le rapport entre la police et les jeunes, notamment des discriminations et du harcèlement par le contrôle au faciès, thème ultra-sensible et déterminant pour la vie des quartiers fut complètement éludé du débat.

Imaginons ceux qui connaissaient ce jeune homme, et tous ceux qui devant leur télé s’y identifiaient. On peut imaginer sans peine leur sentiment d’humiliation. Violence feutrée… Et on peut aussi partager leur colère face à une parole bafouée. Espérons simplement qu’ils pourront dépasser leur colère, la transformer en envie de changer les choses, et qu’ils n’iront pas l’exprimer en bas de leurs immeubles en cassant tout…

C’est quoi le Théâtre forum ?

C’est un autre nom du théâtre de l’Opprimé, méthode inventée par Augusto Boal.

C’est du THEATRE…. Des scènes sont jouées: préparées par les acteurs (qui sont souvent les personnes qui elles-mêmes vivent une situation difficile), elles illustrent des questions, des problèmes…
Et c’est un FORUM… Le public devient acteur. A la fin d’une scène, si quelqu’un pense que quelque chose pourrait se passer différemment, il remplace un des rôles et on rejoue la scène, avec lui, et il essaie de montrer comment concrètement on peut changer les choses, résister, faire valoir nos droits, nos arguments … Donc on refait du théâtre, tout en faisant forum (ça ouvre le débat) !

Comme dit Fabienne Brugel, metteur en scène de la compagnie NAJE, qui intervient dans cette formation: « on ne va pas changer les choses ce soir, mais on peut quand même s’y entraîner »

Depuis plus de 15 ans, cette compagnie de théâtre-forum, accompagne des structures, des communes, des centres sociaux… dans des processus de participation citoyenne et de prise de parole des habitants. Au fil des scènes jouées, Fabienne Brugel et Jean-Paul Ramat, comédien, accompagnent le groupe dans l’analyse.

NAJE, cela veut dire « Nous n’Abandonnerons Jamais l’Espoir », c’est une phrase de Hannah Arendt.

Compagnie NAJE : 01 46 74 51 96, www.naje.asso.fr, 57, rue Roger Salengro 92160 Antony.