Entrez votre recherche ci-dessous :

C’est aussi notre société qui est très fragile

Le 11 septembre, je vais voir Amélie à xxx1. Je croise un homme en fauteuil roulant. Il me fait penser à Marc G., mais il est plus maigre que l’image que je garde de lui, plus éteint, plus tassé sur son fauteuil. Je lui demande tout de même s’il s’appelle Marc, mais il ne me répond pas.

À 16h00, il y a un goûter. Le monsieur qui me faisait penser à Marc est là. Les autres l’appellent « Marc » et, en fait, c’est bien lui. Au bout d’un moment, il dira en me montrant du doigt : « ATD Quart Monde. » Nous parlerons un peu.
Pourtant, l’image que j’ai devant les yeux est celle d’un homme éteint, ou que l’on a rendu éteint. Il porte comme une large ceinture qui le maintient attaché sur son fauteuil et, quand je vois la maigreur de ses jambes, j’ai du mal à imaginer qu’il puisse se tenir seul debout.

La dernière fois que je l’ai vu, il y a six mois, c’était un homme fort physiquement pour ses 60 ou 70 ans. Fort aussi dans son expression et ses raisonnements, même si, vus de mon côté, ces raisonnements me semblaient souvent excessifs, ceux d’un homme prêt à s’emporter, parfois violemment, dès qu’il se sentait incompris.

Comme pour Simone, une autre dame à laquelle je pense, notre société a solutionné la violence qui séjournait en Marc par des médicaments. D’un homme écorché vif mais vivant, nous avons fait un homme calmé et mort. Si un jour Damien, une autre personne que je rencontre, doit être hospitalisé pour une raison ou une autre, sa colère sera-t-elle aussi calmée uniquement par des médicaments ?

Je ne dis pas qu’il existe d’autres solutions faciles. Simone lorsqu’elle était sans traitement, Marc il y a six mois ou Damien aujourd’hui, peuvent, je peux l’imaginer, être difficilement supportables dans une vie de proximité. Je constate simplement les limites de notre société, nos limites.
Compter d’abord sur l’État pour garantir nos liens avec autrui lorsqu’il révèle une grande fragilité, que ce soit par l’intermédiaire de travailleurs sociaux, de centres de jour, de maisons de retraite… est un signe montrant aussi une grande fragilité de notre société.

Dans un de ses livres, le romancier Daniel Pennac fait dire à l’un de ses personnages : « Je rêve d’une humanité qui n’aurait à cœur que le bonheur de son voisin de palier. » Je me rends compte combien il peut être difficile d’être de cette humanité lorsque notre « voisin de palier » nous dérange beaucoup ou nous impose beaucoup de contraintes. N’avons-nous alors pas trop facilement la tentation de le confier à des professionnels ? Mes parents sont décédés lorsqu’ils étaient encore indépendants, mais aurais-je été capable de les accueillir chez moi lorsqu’ils ne l’auraient plus été ?

Peut-être le type de développement de notre monde rend-il impossible « une humanité qui n’aurait à cœur que le bonheur de son voisin de palier. » Pourtant j’ai l’impression que Simone, Marc, Damien, appellent à cette humanité.

Jean-Marie Anglade, volontaire permanent ATD Quart Monde, octobre 2012.